Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4306

Correspondance : année 1760
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 30-31).

4306. — À M. DE RUFFEY[1].
24 octobre, à Ferney.

Sans une demi-douzaine de tragédies, une centaine d’hôtes, une église et un théâtre à bâtir, je vous aurais dit plus tôt, mon cher confrère, combien je vous ai regretté. MM. de Varenne[2] n’ont vu qu’une petite partie de nos travaux que nous appelons amusements. Je vous assure que les affaires les plus sérieuses ne prennent pas plus de temps. Les amusements qui n’en prennent guère sont les petites corrections qu’on inflige aux Pompignan et aux autres impertinents qui, étant à peine gens de lettres, osent vouloir décrier les véritables gens de lettres, calomnier leur siècle et déshonorer la nation. Il faut se moquer des sots et faire trembler les méchants. Je ne crois pas que vous ayez sitôt Tancrède[3] ; vous ne connaissez probablement cette tragédie que par les malsemaines de maître Aliboron dit Fréron : comptez qu’elle ne ressemble point du tout à ce qu’en dit ce polisson. Je l’avais faite à la vérité pour moi, pour les plaisirs de ma campagne. On a voulu la jouer à Paris. J’en ai fait présent aux comédiens. Ils y ont gagné de l’argent. Ainsi, hors Fréron, tout le monde est content. Je le serais fort si vous pouviez franchir les montagnes, et faire ce qu’ont fait MM. de Varenne. Je les ai trop peu vus, et je voudrais vous voir beaucoup.

Mille respects à Mme de Ruffey.

P. S. Il y a un homme chez vous qui m’envoie de vieilles nouvelles[4]. Je lui dois, je crois, une année. Voudriez-vous avoir la bonté de lui faire payer son louis ? M. Tronchin de Lyon rembourse tout. Je ne me mêle que de lire et de barbouiller, et surtout de vous aimer.

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Jacques Varenne père, et son fils aîné Varenne de Béost, tous deux secrétaires des États de Bourgogne. Varenne de Béost était correspondant de l’Académie des sciences, et frère du savant agronome, Varenne de Feuille. (Note du premier éditeur.)
  3. Joué le 3 septembre 1760.
  4. Probablement le Bulletin de Dijon.