Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4307

Correspondance : année 1760
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 31-32).

4307. — À M. JEAN SCHOUVALOW.
À Ferney, 25 octobre.

Je reçois, par M. de Kaiserling, la lettre dont vous m’avez honoré, du 11 septembre[1] (nouveau style), avec les Mémoires sur le commerce, et sur les campagnes en Perse. Je n’ai point encore entendu parler de M. Pouschkin, et du paquet qu’il devait me faire parvenir de la part de Votre Excellence ; j’ai toujours jugé qu’il s’arrêterait à Vienne, pour le mariage de l’archiduc[2]. Vous venez de donner une belle fête à ce prince ; vos troupes, dans Berlin, font un plus bel effet que tous les opéras de Metastasio. C’est moi, monsieur, qui suis inconsolable de n’avoir pu faire ma cour à monsieur votre neveu ; jugez avec quels transports j’aurais reçu un homme de votre nom, et digne d’en être. Je vois souvent M. de Soltikof ; je vous assure qu’il mérite de plus en plus votre bienveillance.

Il est bien dur d’être si loin de vous. J’ignore encore si un ballot envoyé, il y a un an, à l’adresse de M. de Kaiserling à Vienne, est parvenu à Votre Excellence ; j’ignore si elle a reçu un autre ballot envoyé par Hambourg ; celui-là me tient moins au cœur ; il ne contenait qu’une espèce d’eau des Barbades[3], que je prenais la liberté de vous offrir.

Vous sentez, monsieur, que je ne puis bâtir la seconde aile de l’édifice, si je n’ai des matériaux ; vous avez commencé, vous achèverez. On est content du premier volume ; le libraire en a déjà débité cinq mille exemplaires ; Pierre le Grand et vous, vous faites sa fortune : c’est votre destinée à tous les deux de faire du bien. Mais comment puis-je continuer, si je n’ai pas le précis des négociations de ce grand homme, et la continuation du Journal ? J’ajoute que j’ai besoin de quelques éclaircissements sur le czarowitz. Je suis à vos ordres, et je vous réponds que je ne vous ferai pas attendre ; mais aidez-moi ; ne me réduisez pas à répéter les mauvaises histoires du sieur Nestesuranoi[4], et de tant d’autres. Il n’est pas dans votre caractère d’abandonner une si noble entreprise ; je suis persuadé qu’elle doit plaire à la digne fille de Pierre le Grand. Disposez de votre secrétaire, de votre partisan le plus vif, de celui qui sera toute sa vie, avec le plus tendre respect, etc.

J’ai eu l’impudence de porter chez M. de Soltikof le portrait de votre secrétaire.

  1. Ou du 31 août, selon l’ancien style, suivi par les Russes.
  2. Joseph-Benoît-Auguste (Joseph II, empereur en 1755), marié à Isabelle de Parme le 5 octobre 1760. (Cl.)
  3. La caisse d’eau de Colladon, dont il est question dans la lettre 3983.
  4. Rousset de Missy.