Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4262

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 542-543).

4262. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
Paris, 20 septembre 1760.

Non, non, monsieur, je ne suis pas une grande enfant ; je suis une petite vieille qui ai tous les apanages de la vieillesse, excepté la mauvaise humeur. Je blâme M. de Voltaire quand il s’associe ou plutôt se fait chef d’un parti qui n’a rien de commun avec lui qu’un seul article : car pour la morale et les agréments, il n’y a nulle ressemblance ni conformité ; d’ailleurs, si cela vous divertit, vous avez raison, n’en parlons plus. Dites-moi, je vous prie, pourquoi vous ne répondez jamais à ce que je vous écris ? Je vous parle de votre tragédie, de votre comédie ; vous ne daignez pas m’en dire un mot. J’ai lieu de croire que mes lettres vous ennuient ; j’en serais fâchée, parce que les vôtres me font plaisir. J’attends avec impatience votre histoire du czar ; j’ai grand besoin de lecture qui m’amuse ; je lis six ou sept heures par jour ou par nuit, et j’ai tout épuisé. J’ai été très-contente de l’histoire des Stuarts[2] ; elle est un peu fatigante, mais il y a des morceaux sublimes.

Si vous aviez de l’amitié pour moi, comme vous voulez m’en flatter, vous pourriez m’envoyer beaucoup de choses, j’en suis sûre ; mais vous me traitez comme une caillette.

Il arriva hier un courrier qui nous apporta la nouvelle d’un petit avantage que M. de Stainville a remporté sur le prince héréditaire ; c’est être débredouillé.

Votre lettre au roi de Pologne est imprimée, je ne crois pas que ce soit par l’ordre du frère Menoux. Adieu, monsieur, je vous aime beaucoup, et je crois que vous ne m’aimez guère.

Le président veut que je vous dise qu’il vous désapprouve infiniment de donner le premier tome de votre histoire du czar avant le second ; je crois effectivement qu’il n’a pas tort, mais si le second nous faisait trop attendre le premier, ne suivez pas son conseil, je suis pressée de vivre.

  1. Correspondance complète de la marquise du Deffant, publiée par M. de Lescure. Paris, Pion, 1865.
  2. L’Histoire de la maison de Stuart, par Hume, traduite en 1760 par l’abbé Prévost.