Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4102

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 359-360).

4102. — À M. DE CHENEVIÈRES[1].
Aux Délices, 23 avril.

Il est bien vrai, mon cher ami, que je ne suis pas mort ; mais je ne puis pas non plus assurer absolument que je suis en vie. Je suis tout juste dans un honnête milieu, et la retraite contribue à soutenir ma machine chancelante. Il faut qu’un vieillard malade soit entièrement à lui : pour peu qu’il soit gêné, il est mort ; mais tant que je respirerai un peu, vous aurez un ami aussi inutile qu’attaché sur les bords fleuris du lac de Genève.

Tout ce que vous me dites de M. le duc de Bourgogne[2] fait grand plaisir à un cœur français. J’attends avec impatience la paix ou quelque victoire, et je vous avoue que j’aimerais encore mieux, pour notre nation, des lauriers que des olives. Je ne puis souffrir les ricanements des étrangers quand ils parlent de flottes et d’armées. J’ai fait vœu de n’aller habiter le château de Ferney que quand je pourrai y faire la dédicace par un feu de joie. C’est, par parenthèse, un fort joli château. Colonnades, pilastres, péristyle, tout le fin de l’architecture s’y trouve ; mais je fais encore plus de cas des blés et des prairies. Nous sommes de l’âge d’or dans notre petit coin du monde, où toutes les Délices vous embrassent.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Frère aîné de celui qui fut Louis XVI. Il mourut à onze ans.