Correspondance de Voltaire/1759/Lettre 3846

Correspondance de Voltaire/1759
Correspondance : année 1759GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 94-95).

3846. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Aux Délices, 7 mai.

Il faut que vous me pardonniez, madame ; j’écris très-peu, parce que je n’ai pas un moment à moi ; je me défais tous les jours de mes correspondances de Paris, je ne voudrais conserver que la vôtre ; je ne connais plus que vous et la retraite ; je m’intéresse plus à la pension de monsieur votre fils qu’à la guerre et aux finances ; je veux que vous soyez heureuse de toutes les façons et de tous les côtés ; on aurait beau d’ailleurs tout bouleverser, je n’en prendrais point d’alarmes ; j’ai su faire à peu près comme vous. J’ai des terres libres, je veux y vivre et y mourir. Il est vrai que je m’y prends un peu tard pour bâtir et pour planter, mais la vraie jouissance est dans le travail ; la culture est un aussi grand plaisir que la récolte. Le docteur Pangloss est un grand nigaud avec son tout est bien ; je crois que les choses ne vont bien que pour ceux qui restent chez eux, ou pour M. de Zeutmandel[1] et pour sa grasse et riche chanoinesse, qui épouse un très-aimable mari. Tout sera bien longtemps pour vous, madame, puisque vous avez le courage de conserver votre régime ; ce n’est pas une petite vertu, et votre vertu sera récompensée. Je ne vous mande aucune nouvelle, je n’en sais que des siècles passés ; si vous en savez du siècle présent, ne m’oubliez pas ; mais songez toujours que celles qui vous regardent me sont les plus chères, et que je vous suis attaché avec le plus tendre respect.

  1. Ne serait-ce pas Zuchmantel ? Un baron de ce nom fut fait brigadier d’infanterie en février 1759. (Cl.)