Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2970

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 424).
2970. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE[1].
Aux Délices, près de Genève, 4 août 1755.

Sire, si les belles-lettres, qui ont servi de délassement à Votre Majesté dans ses travaux, l’amusent encore, permettez que je mette à vos pieds et sous votre protection cette tragédie[2], que je commençai chez vous, avant d’avoir le malheur de vous quitter ; j’aurais voulu la finir dans votre palais de Potsdam, aussi bien que ma vie. Les beautés du lac de Genève et de la retraite que j’ai choisie pour mon tombeau sont bien loin de me consoler du malheur de n’être plus auprès de Votre Majesté.

Je ne peux soulager mon amertume qu’en saisissant les moindres occasions de vous renouveler mes sentiments : ils sont tels qu’ils étaient quand vous avez daigné m’aimer, et j’ose croire encore que vous n’êtes pas insensible à l’admiration très-sincère d’un homme qui vous a approché, et dont la douleur extrême est étouffée par le souvenir de vos premières bontés.

Ne pouvant avoir la consolation de me mettre moi-même aux pieds de Votre Majesté, je veux avoir au moins celle de m’entretenir de vous avec milord Maréchal[3]. Je ne suis pas éloigné de lui, et, si Votre Majesté m’en donne la permission, si ma malheureuse santé m’en laisse la force, j’irai lui dire ce que je ne vous dis pas, combien vous êtes au-dessus des autres hommes, et à quel point j’ai eu la hardiesse et la faiblesse de vous aimer de tout mon cœur. Mais je ne dois parler à Votre Majesté que de mon profond respect.

  1. Œuvres de Frédéric le Grand ; Berlin, 1853, tome XXIII, page 7.
  2. L’Orphelin de la Chine.
  3. Alors à Neufchâtel.