Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2947

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 404-405).

2947. — À M. DE BRENLES.
Aux Délices, 6 juillet.

M. de Bochat est bien heureux ; il y a plaisir à être mort, quand on a son tombeau couvert de vos fleurs. J’ai lu, monsieur, avec un plaisir extrême cet Éloge[1], qui fait le vôtre. Vous trouvez donc que je suis trop poli avec ma patrie. Il n’y avait pas moyen de reprocher des fers à des esclaves[2] si gais, qui dansent avec leurs chaines. J’ai mis le bonnet de la Liberté sur ma tête ; mais je l’ôte honnêtement à de jolis esclaves que j’aime. Eh bien ! mon cher philosophe, vous voulez donc aussi vous mêler d’être malade, et vous avez en accident ce que j’ai en habitude, guérissez vite ; pour moi, je ne guérirai jamais ; je suis né pour souffrir. Votre amitié et un peu de casse me soulagent.

J’ai chez moi M. Bertrand[3], de Berne, et je m’en vante. M. le banneret Freudenreich[4] me parait un homme bien estimable ; mais mes maladies ne me permettent pas de jouir de leur société autant que je le voudrais. Je ne sais si j’aurai la force d’aller jusqu’à Berne ; mais vous me donnerez celle d’aller à Monrion.

On dit que les douze chants dont vous m’avez parlé sont une rapsodie abominable. Ce n’est point là, Dieu merci, mon ouvrage : il est en vingt chants, et il y a vingt ans que j’avais oublié cette triste plaisanterie, qui me fait aujourd’hui bien de la peine. Vale, amice.

  1. Éloge historique de M. Charles-Guillaume Louis de Bochat (né à Lausanne en 1695, mort en 1754) : Lausanne, 1755, in-8°.
  2. Allusion à quelques vers de l’Épître sur le lac de Genève, dans lesquels Voltaire parlait des bourgeois de Paris rampant dans l’esclavage.
  3. Élie Bertrand.
  4. Le banneret (ou banderet) Frcedenreich est souvent nommé, ainsi que sa femme, dans la correspondance de Voltaire avec le pasteur Bertrand. Voltaire lui écrivit même plusieurs fois ; mais je ne connais encore (1829) aucune de ses lettres à cet ami de Bertrand et de Clavel de Brenles. Freudenreich, né en 1692, mourut en 1773. Il fut un de ceux que Voltaire alla voir à Berne, au mois de mai 1756. (Cl.)