Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2899

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 362-363).

2899. — À M. DE BRENLES.
Aux Délices, près de Genève, 29 mars.

Je fais mes compliments, mon cher monsieur, à l’humanité en général, et à Lausanne en particulier, si votre ouvrage vous ressemble. Je vous remercie de mettre au monde des philosophes. Il faudra bientôt que je quitte ce monde maudit où il y en a si peu ; je me consolerai en sachant que vous en conservez la graine. Vous devez être bien content, vous donnez la vie à un être pensant, et vous sauvez celle d’une pauvre fille[1] : cette dernière action est bien plus belle encore, car les sots font des enfants, mais ils ne font pas verser des larmes aux juges. Vous êtes le Cicéron de Lausanne.

Je compte bien venir vous embrasser à Monrion, et y faire ma cour à Mme de Brenles dès que je serai quitte de mes ouvriers. Je suis assurément bien loin de vous oublier ; vous savez que je n’ai pris Monrion que pour vous et pour vos amis ; je n’en avais nul besoin. J’ai la plus jolie maison, et le plus beau jardin dont on puisse jouir auprès de Genève ; un peu d’utile s’y trouve joint même à l’agréable. Je suis occupé à augmenter l’un et l’autre ; je suis devenu maçon, charpentier, et jardinier. Votre métier assurément est plus beau de faire des garçons et de sauver des filles. Nous prenons, ma nièce et moi, la part la plus tendre à tous vos succès. Nous faisons mille compliments au père, à la mère, et au nouveau-né[2]. Il faudra qu’il soit baptisé par un homme d’esprit ; je me flatte que ce sera M. Polier de Bottens qui fera cette cérémonie. Ne m’oubliez pas, je vous prie, auprès de ce digne ami. De belles terrasses et une belle galerie m’ont fait Genevois, mais c’est vous et Mme de Brenles qui me faites Lausannois. Adieu, monsieur ; vivez heureux, et aimez un homme qui met son bonheur à être aimé de vous.

Je vous embrasse et suis pour jamais, etc. V[3].

  1. Lettre 2839.
  2. Cet enfant mourut quelques jours plus tard.
  3. Dans un catalogue d’autographes vendus le 17 avril 1880, on signale une lettre de Georges-Louis Lesage à Voltaire, Genève, mars 1755, où cet écrivain se plaint des mauvais procédés des Genevois à son égard.