Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2900

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 363-364).

2900. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHIELIEU.
Aux Délices, près de Genève, 2 avril 1755.

On me mande que mon héros a repris son visage. Il ne pouvait mieux faire que de garder tout ce que la nature lui a donné. Vous êtes donc quitte, monseigneur, au moins je m’en flatte, de votre maladie cutanée. Il était bien injuste que votre peau fût si maltraitée, après avoir donné tant de plaisir à la peau d’autrui ; mais on est quelquefois puni par où l’on a péché.

Je me mêle aussi d’avoir une dartre. On dit que j’ai l’honneur de posséder une voix aussi belle que la votre ; si j’ai, avec cela, un érysipèle au visage, me voilà votre petite copie en laid.

Un grand acteur est venu me trouver dans ma retraite : c’est Lekain, c’est votre protégé, c’est Orosmane, c’est d’ailleurs le meilleur enfant du monde. Il a joué à Dijon, et il a enchanté les Bourguignons ; il a joué chez moi, et il a fait pleurer les Genevois. Je lui ai conseillé d’aller gagner quelque argent à Lyon, au moins pendant huit jours, en attendant les ordres de M. le duc de Gèvres. Il ne tire pas plus de deux mille livres par an de la Comédie de Paris. On ne peut ni avoir plus de mérite, ni être plus pauvre. Je vous promets une tragédie nouvelle, si vous daignez le protéger dans son voyage de Lyon. Nous vous conjurons, Mme Denis et moi, de lui procurer ce petit bénéfice dont il a besoin. Il vous est bien aisé de prendre sur vous cette bonne action. M. le duc de Gèvres se fera un plaisir d’être de votre avis et de vous obliger. Ayez la bonté de lui faire cette grâce. Vous ne sauriez croire à quel point nous vous serons obligés. Il attendra les ordres à Lyon. Ne me refusez pas, je vous en supplie. Laissez-moi me flatter d’obtenir cette faveur que je vous demande avec la plus vive instance. Il ne s’agit que d’un mot à votre camarade. Les premiers gentilshommes de la chambre ne font qu’un. Pardon de vous tant parler d’une chose si simple et si aisée ; mais j’aime à vous prier, à vous parler, à vous dire combien je vous aime, à quel point vous serez toujours mon héros, et avec quelle tendresse respectueuse je serai toujours à vos ordres.