Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2895

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 359-360).

2895. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Aux Délices, 24 mars.

Comment luttez-vous contre la queue de l’hiver, madame, avec votre maudite exposition au nord ? Vous êtes sur les bords du Rhin, et vous ne le voyez pas. Vous êtes à la campagne, et à peine y avez-vous un jardin. Vous avez une amie[1] intime, et il faut qu’elle vous quitte. Ni la campagne ni Strasbourg ne doivent vous plaire. Monsieur votre fils n’est-il pas auprès de vous ? il vous consolerait de tout. Que ne puis-je vous avoir tous deux dans mes Délices ! c’est alors que mon ermitage mériterait ce nom. Nous sommes du moins au midi, et nous voyons le beau lac de Genève. Mme Denis n’a pas heureusement de prébende qui la rappelle. Nous oublions, dans notre ermitage, les rois, les cours, les sottises des hommes ; nous ne songeons qu’à nos jardins et à nos amis.

Je finis enfin par mener une vie patriarcale : c’est un don de Dieu qu’il ne nous fait que quand on a barbe grise ; c’est le hochet de la vieillesse. Si j’avais autant de santé que je me suis procuré de bonheur, je vous dirais plus souvent, madame, que je vous aimerai de tout mon cœur jusqu’au dernier moment de mon existence. Mme Denis et moi sommes à vous pour jamais ; ne nous oubliez pas près de la branche qui préside[2] a Colmar.

  1. Mme de Brumath.
  2. M. de Klinglin.