Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2847

Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 317-318).

2847. — M. DE BRENLES.
Prangins, le 12 janvier.

J’envoie à Monrion, monsieur, étant trop malade pour y aller moi-même. Je fais visiter mon tombeau,


· · · · · · · · · · · · · · · ut molliter ossa quiescant.

(Virg., ecl. x, v. 33.)

Dieu vous préserve, vous et Mme de Brenles, de venir voir un malade dans ce beau château, qui n’est pas encore meublé, et où il n’y a presque d’appartements que ceux que nous occupons ! On travaille au reste ; mais tout ne sera prêt qu’au printemps, et j’espère qu’alors ce sera à Monrion où j’aurai l’honneur de vous recevoir.

Je n’ai jamais lu Machiavel en français ; ainsi je ne peux vous en dire des nouvelles. Pour la cause de la disgrâce du surintendant Fouquet, je suis persuadé qu’elle ne vint que de ce qu’il n’était pas cardinal : s’il avait en l’honneur de l’être, il aurait pu voler l’État aussi impunément que le cardinal Mazarin ; mais n’étant que surintendant, et n’étant coupable que de la vingtième partie des déprédations de Son Éminence, il fut perdu. Je n’ai vu nulle part qu’il se fût flatté de devenir premier ministre. Colbert, qui avait été recommandé au roi par le cardinal, voulut perdre Fouquet pour avoir sa place, et il y réussit. Cette mauvaise manœuvre valut du moins à la France un bon ministre. Je ne sais pas si les ministres d’aujourd’hui seront aussi favorables à mon ami Dupont que je le désire ; j’ai fait tout ce que j’ai pu, et je serais fort étonné de réussir.

Mme Denis et moi nous vous faisons, aussi bien qu’à Mme de Brenles, les plus sincères compliments. Nous n’avons point eu encore le bonheur de vous voir, mais nous avons pour vous les mêmes sentiments que ceux qui vous voient tous les jours.

Voilà un rude hiver pour un malade ; mes beaux jours viendront quand je serai votre voisin.


Voltaire.