Correspondance de Voltaire/1750/Lettre 2157

Correspondance de Voltaire/1750
Correspondance : année 1750, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 211-212).

2157. — DE MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH.
Le 10 décembre.

Je vous ai promis, monsieur, de vous écrire, et je vous tiens parole. J’espère que notre correspondance ne sera pas aussi maigre que nos deux individus, et que vous me donnerez souvent sujet de vous répondre. Je ne vous parlerai point de mes regrets, ce serait les renouveler. Je suis sans cesse transportée dans votre abbaye[1], et vous jugez bien que celui qui en est abbé m’occupe toujours. Je me suis acquittée de vos commissions auprès du margrave. Il me charge de vous assurer de son amitié, et vous prie de mettre à fin l’affaire du marquis d’Adhémar[2]. Il sera charmé de le prendre à son service en qualité de chambellan, et lui fera des conditions dont il pourra être content. Quoique votre recommandation suffise auprès du margrave, il serait pourtant nécessaire, pour l’agrément du marquis, d’en avoir une, ou de M. de Puisieux[3], ou de M. d’Argenson, qu’il pût produire à la cour. Je vous serai bien obligée si vous pouvez le déterminer à venir bientôt ici, où nous avons grand besoin de secours pour remplir les vides de la conversation. Nos entretiens me semblent comme la musique chinoise, où il y a de longues pauses qui finissent par des sons discordants. Je crains que ma lettre ne s’en ressente ; tant mieux pour vous, monsieur, il faut des moments d’ennui dans la vie, pour faire valoir d’autant plus ceux qui font plaisir. Après la lecture de cette lettre, les soupers vous paraîtront bien plus agréables. Pensez-y quelquefois à moi, je vous en prie, et soyez persuadé de ma parfaite estime.

Wilhelmine.

  1. Ou monastère, moitié militaire, moitié littéraire, dont Frédéric, frère de la margrave, était l’abbé ; voyez les lettres 2148 et 2221.
  2. Voyez les lettres 2110, 2156 et 2366.
  3. Le marquis de Puisieux, qui avait succédé au marquis d’Argenson, le 15 janvier 1747, comme ministre des affaires étrangères.