Correspondance de Voltaire/1750/Lettre 2156

Correspondance de Voltaire/1750
Correspondance : année 1750, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 210-211).

2156. — À MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH[1].
À Potsdam, ce 9 décembre (1750.)

Madame, les grandes passions mènent bien loin, et j’aurais eu l’honneur de suivre à Baireuth la digne sœur d’un héros, si l’avantage de vivre auprès de ce héros ne m’avait retenu encore à ses pieds. Votre Altesse royale sait que je devais partir pour la France le 15 décembre ; mais peut-on avoir d’autre patrie que celle de Frédéric le Grand ? On n’y a qu’un seul chagrin : c’est de n’y plus voir Votre Altesse royale. On est consolé au moins par les nouvelles qu’on a de votre santé. On dit qu’elle se raffermit, et que vous avez très-bien soutenu les fatigues du voyage. Si Votre Altesse royale peut parvenir à avoir un corps digne de son âme, et une santé égale à sa beauté, qu’aurez-vous à désirer dans le monde ? Peut-être, madame, sentez-vous le besoin de faire de nouveaux heureux, en approchant encore de votre personne quelques gens de bonne compagnie dignes de vous voir et de vous entendre. Ne pouvant aller sitôt à Paris, j’ai chargé ma nièce de chercher une dame de condition, veuve, qui ait de l’esprit, des lettres et de la conversation. Peut-être que l’envie d’obéir à vos ordres lui fera trouver ce qu’il faut à Votre Altesse royale. Du moins je vous réponds, madame, qu’elle y fera tous ses efforts, et que Votre Altesse royale pourra accepter de sa main la personne qu’elle présentera. Je persiste toujours à penser que le marquis d’Adhémar, déjà connu à votre cour, serait un homme bien convenable. Je réponds hardiment de sa sagesse, de son esprit et de sa valeur. Je ne crois pas que monseigneur le margrave puisse jamais faire un meilleur choix. J’attendrai sur cela vos ordres. Je suis plus sûr de la bonne acquisition que ferait votre cour que je ne le suis des dispositions présentes du marquis d’Adhémar ; mais, ayant eu le bonheur d’approcher de Votre Altesse royale, peut-on douter qu’il ne veuille se fixer à son service ? Privé comme je le suis du bonheur de passer ma vie à vos pieds et à ceux de monseigneur le margrave, je serais heureux d’y savoir mon ami.

Vous savez sans doute, madame, que le roi a ordonné à d’Arnaud de partir dans vingt-quatre heures. Il est à Dresde, où il se vante des bonnes fortunes de la cour de Berlin.

Je suis, avec le plus profond respect, de Votre Altesse royale le très-humble et très-soumis serviteur.

Voltaire.

  1. Revue française, 1er février 1860 ; tome XIII. page 199.