Correspondance de Voltaire/1749/Lettre 1944

Correspondance de Voltaire/1749
Correspondance : année 1749GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 562).

1944. — À M. LE PRÉSIDENT HÉNAULT.

Je vous avais déjà mandé[1], monsieur, que j’étais très-fâché qu’on se fût hâté d’envoyer malgré moi des copies informes de cette petite pièce, qui d’ailleurs a, ce me semble, l’approbation de tous les gens de goût et de bon sens. Je suis encore plus fâché et moins surpris qu’il y ait des hommes assez méchamment bêtes pour trouver à redire qu’on mette parmi les agréments de la vie de bons soupers qu’on donne à la bonne compagnie dont on est les délices et le modèle. La seconde leçon vaut certainement mieux mais, à votre place, j’aurais laissé subsister la première pour punir les sots. Les caillettes et les imbéciles du bel air, qu’il ne faut jamais écouter ni en fait d’ouvrages d’esprit, ni en autre chose, cherchent à mordre sur tout. Ces honnêtes gens-là ont fait tout ce qu’ils ont pu pour que M. de Richelieu trouvât mauvais que je lui écrivisse[2] comme Voiture écrivait au prince de Condé ; mais il n’a pas été leur dupe, et, en vérité, plus je vais en avant, plus je vois qu’il n’y a d’autre parti à prendre que de mépriser les sots discours qu’on ne peut jamais empêcher. Pour moi, je me console de toutes les plates critiques par l’honneur de votre approbation, et de la haine des demi-beaux esprits par l’honneur de votre amitié. Mme du Châtelet pense comme moi. Elle vous fait mille compliments. Elle vient d’achever une préface de Newton, qui est un chef-d’œuvre, et qui fait honneur à son sexe et à la France. Elle a résisté avec courage aux impertinences des caillettes, et passera, dans la postérité, pour un génie respectable. Si elle n’avait pas méprisé les mauvaises plaisanteries, elle n’aurait pas fait des choses admirables, que les ricaneurs n’entendront pas.

  1. Voyez la lettre 1937.
  2. L’épître dont il est question dans la lettre 1929.