Correspondance de Voltaire/1749/Lettre 1937

Correspondance de Voltaire/1749
Correspondance : année 1749GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 556-557).

1937. – À M. LE PRÉSIDENT HÉNAULT,
à table avec les grâces.
Cirey, ce 3 janvier 1749.

Vous qui de la chronologie
Avez réformé les erreurs ;
Vous dont la main cueillit les fleurs
De la plus belle poésie ;
Vous qui de la philosophie
Avez sondé les profondeurs,
Malgré les plaisirs séducteurs
Qui partagèrent votre vie ;
Hénault, dites-moi, je vous prie,
Par quel art, par quelle magie,
Avec tant de succès flatteurs,
Vous avez désarmé l’envie, etc.

Voilà, mon illustre et charmant confrère, comment j’avais corrigé le commencement de l’Épître que j’ai eu l’honneur de vous adresser, et j’allais vous l’envoyer, quand j’ai reçu votre lettre[1]. J’ai été très-fâché qu’on eût envoyé des copies de ce petit ouvrage avant que je susse si le héros de la pièce était content. Et pour comble de disgrâce, les copies avaient été faites par une espèce d’aide-de-camp qui estropie terriblement les vers. Je ne suis pas tout à fait content de ce commencement : il est plus digne du public que les premiers vers, qui n’étaient que familiers ; mais il me semble qu’il n’est pas frappé assez fortement. J’ai bien à cœur que ce petit ouvrage soit bon, et qu’il fasse aller un jour mon nom à côté du vôtre.

Au reste, les personnes qui ont condamné les soupés me paraissent indignes de souper ; c’est, à mon sens, la critique du monde la plus ridicule. Mais les gens qui ont tort sont presque toujours les plus forts ; pour moi, qui ne soupe plus, je retranche les soupés, même en vers. Mme du Châtelet, à qui je ne donnerai plus mes vers que quand j’y aurai mis la dernière main, vous fait mille compliments. Voulez-vous bien permettre que j’assure Mme du Deffant de mon respect ?

Je reçois aussi une lettre de vous, renvoyée de Lunéville à Paris et à Cirey. Je vous remercie de tant de faveurs. Conservez-moi une amitié aussi nécessaire à ma gloire, si j’en ai, qu’au bonheur de ma vie ; cette vie est à vous.

On dit que vous logez près de mes confrères les Incurables ; je me flatte que vous ne l’êtes pas. Les murs de Thèbes, d’Ilion et de Babylone, ne sont plus ; mais mon cœur restera inébranlable à la tendre amitié qu’il vous porte.

  1. Voyez, tome X, la note et les variantes de l’épître au président Hénault, datée de novembre 1748.