Correspondance de Voltaire/1746/Lettre 1832

Correspondance de Voltaire/1746
Correspondance : année 1746GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 455-456).

1832. — À M. BERGER[1],
directeur de l’opéra.
Du 13 juin.

Il me serait bien peu séant, monsieur, qu’ayant fait le Temple de la Gloire pour un roi qui en a tant acquis, et non pour l’Opéra, auquel ce genre de spectacle trop grave et trop peu voluptueux ne peut convenir, je prétendisse à la moindre rétribution et à la moindre partie de ce qu’on donne d’ordinaire à ceux qui

travaillent pour le théâtre de l’Académie de musique. Le roi a trop daigné me récompenser, et ni ses bontés ni ma manière de penser ne me permettent de recevoir d’autres avantages que ceux qu’il a bien voulu me faire. D’ailleurs, la peine que demande la versification d’un ballet est si au-dessous de la peine et du mérite du musicien ; M. Rameau est si supérieur en son genre, et, de plus, sa fortune est si inférieure à ses talents, qu’il est juste que la rétribution soit pour lui tout entière. Ainsi, monsieur, j’ai l’honneur de vous déclarer que je ne prétends aucun honoraire ; que vous pouvez donner à M. Rameau tout ce dont vous êtes convenu sans que je forme la plus légère prétention. L’amitié d’un aussi honnête homme que vous, monsieur, et d’un amateur aussi zélé des arts, m’est plus précieuse que tout l’or du monde. J’ai toujours pensé ainsi et, quand je ne l’aurais pas fait, je devrais commencer par vous et par M. Rameau. C’est avec ces sentiments, monsieur, et avec le plus tendre attachement que j’ai l’honneur d’être, etc.[2]

  1. Ancien receveur général des finances du Dauphiné. Il eut la direction de l’Opéra depuis 1744 jusqu’en 1747, en société avec le chevalier de Mailly, colonel de dragons, qui prit, dans l’acte, le nom de Venture. Il s’agit, dans cette lettre, des honoraires qui étaient dus aux auteurs du Temple de la Gloire, opéra remis au théâtre de l’Académie royale de musique en 1746. Ce M. Berger n’est pas le même que celui à qui sont adressées d’autres lettres (voyez, tome XXXIII, une note de la lettre 367).
  2. Le catalogue des autographes vendus à la salle Drouot le 17 avril 1880 signale, à la date du 15 juin 1746, une lettre du Père Roger Boscovich, célèbre mathématicien et écrivain italien, mandant à Voltaire que l’Académie des Arcades l’a admis, à l’unanimité, parmi ses membres.