Correspondance de Voltaire/1746/Lettre 1821

Correspondance de Voltaire/1746
Correspondance : année 1746GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 446-447).

1821. — DE M. DE VAUVENARGUES.
À Paris, lundi matin, 23 mai.

Vous me soutenez, mon cher maître, contre l’extrême découragement que m’inspire le sentiment de mes défauts. Je vous suis sensiblement obligé d’avoir lu sitôt mes Réflexions. Si vous êtes chez vous, ce soir, ou demain, ou après-demain, j’irai vous remercier. Je n’ai pas répondu hier à votre lettre, parce que celui qui l’a apportée l’a laissée chez le portier, et s’en est allé avant qu’on me la rendit. Je vous écrirais et je vous verrais tous les jours de ma vie si vous n’étiez pas responsable au monde de la vôtre.

Ce qui a fait que je vous ai si peu parlé de votre tragédie[1], c’est que mes yeux souffraient extrêmement lorsque je l’ai lue, et que j’en aurais mal jugé après lecture si mal faite. Elle m’a paru pleine de beautés sublimes. Vos ennemis répandent dans le monde qu’il n’y a que votre premier acte qui soit supportable, et que le reste est mal conduit et mal écrit. On n’a jamais été si horriblement dechainé contre vous qu’on l’est depuis quatre mois. Vous devez vous attendre que la plupart des gens de lettres de Paris feront les derniers efforts pour faire tomber votre pièce. Le succès médiocre de la Princesse de Navarre et du Temple de la Gloire leur fait déjà dire que vous n’avez plus de génie. Je suis si choqué de ces impertinences qu’elles me dégoûtent non-seulement des gens de lettres, mais des lettres mêmes. Je vous conjure, mon cher maître, de polir si bien votre ouvrage qu’il ne reste à l’envie aucun prétexte pour l’attaquer. Je m’intéresse tendrement à votre gloire, et j’espère que vous pardonnerez au zèle de l’amitié ce conseil, dont vous n’avez pas besoin.

Vauvenargues.

  1. Semirainis.