Correspondance de Voltaire/1746/Lettre 1793

Correspondance de Voltaire/1746
Correspondance : année 1746GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 422).
1793. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON,
ministre des affaires étrangères.
Mars[1].

Je ne vous fais point ma cour, monseigneur, mais je fais mille vœux pour le succès de votre belle entreprise[2]. On dit que vous avez besoin de tout votre courage, et de résister aux contradictions, en faisant le bien des hommes. Voilà où l’on en est réduit. Vous avez de la philosophie dans l’esprit, et de la morale dans le cœur ; il y a peu de ministres dont on puisse en dire autant. Vous avez bien de la peine à rendre les hommes heureux, et ils ne le méritent guère. Ô que vous allez conclure divinement mon Histoire, et que je me sais bon gré d’avoir barbouillé votre portrait ! il est vrai, du moins.

M. le cardinal Passionei me mande qu’il envoie sous votre couvert, par M. l’archevêque de Bourges[3], un paquet de livres dont il veut bien me gratifier.

Voici le saint temps de Pâques qui approche la reine de Hongrie et la reine d’Espagne dépouilleront toutes deux la vieille femme[4], et se réconcilieront en bonnes chrétiennes ; cela est immanquable. Ah ! maudites araignées[5], vous déchirerez-vous toujours, au lieu de faire de la soie !

Grand et digne citoyen, ce monde-ci n’est pas digne de vous.

  1. Une note de M. René d’Argenson, éditeur des Mémoires du marquis d’Argenson (son grand-oncle), 1825, in-8o, dit que cette lettre est de mai 1746.
  2. La paix générale. (Note de M. R. d’Argenson.)
  3. De La Rochefoucauld, ambassadeur à Rome.
  4. Saint Paul, aux Éphesiens, iv, 22 ; et aux Colossiens, iii, 9.
  5. Voyez la lettre 1689.