Correspondance de Voltaire/1745/Lettre 1773

Correspondance de Voltaire/1745
Correspondance : année 1745GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 405-406).

1773. — AU CARDINAL QUERINI.
À Paris, ce 25 octobre.

Il faudrait, monseigneur, vous écrire dans plus d’une langue si on voulait mériter votre correspondance ; je me sers de la française, que vous parlez si bien, pour remercier Votre Éminence de sa belle prose et de ses vers charmants. Je revenais de Fontainebleau, quand je reçus le paquet dont elle m’a honoré je m’en retournais à Paris avec Mme la marquise du Châtelet, qui entend Virgile et vous, aussi bien que Newton. Nous lûmes ensemble votre excellente préface et la traduction que vous avez bien voulu faire du Poërne de Fontenoy. Je m’écriai :


Sic veneranda suis plaudebat Roma Quirinis ;
       Laus antiqua redit, Romaque surgit adhuc,
Non jam Marte ferox, dirisque superba triumphis ;
       Plus mulcere orbem quam domuisse fuit
.

La fièvre et les incommodités cruelles qui m’accablent ne m’ont pas permis d’aller plus loin, et m’empêchent actuellement de dire à Votre Éminence tout ce qu’elle m’inspire. Elle me cause bien du chagrin en me comblant de ses faveurs ; elle redouble la douleur que j’ai de n’avoir point vu l’Italie. Je ferais volontiers comme les Platon, qui allaient voir leurs maîtres en Égypte ; mais ces Platon avaient de la santé, et je n’en ai point. Permettez-moi, monseigneur, de vous envoyer une Dissertation[1] que j’ai faite pour l’Académie de Bologne, dont j’ai l’honneur d’être membre. Dès que je serai un peu rétabli, je lui ferai adresser cet hommage sous l’enveloppe de M. le cardinal Valenti[2], si vous le trouvez bon : car les dissertations de Paris à Rome ruinent quand on ne prend pas ces précautions. Ce sera le troc de Sarpédon vous me donnez de l’or, et je vous rendrai du cuivre. Il y a longtemps que tout homme qui cherche à enrichir son âme trouve bien à gagner avec la vôtre. La mienne sent tout le prix d’un tel commerce.

Je suis, avec un profond respect, etc.

  1. C’est la Dissertation qui, imprimée d’abord en italien sous le titre de Saggio intorno ai cambiamenti avvenuti sul globo della terra, 1746, in-12, fut traduite ensuite par Voltaire lui-même ; voyez tome XXIII, page 219.
  2. Silvio Valenti ; voyez une note de la lettre 1752.