Correspondance de Voltaire/1745/Lettre 1694

Correspondance de Voltaire/1745
Correspondance : année 1745GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 340-341).
1694. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Paris, ce lundi[1].

Voici un prologue, voici des mémoires justificatifs, voici des consultations ; ayez surtout la bonté de me répondre sur le feu d’artifice. Me suis-je trompé ? Cette idée ne fournit-elle pas un spectacle plein de galanterie, de magnificence, et de nouveauté ? Je ne vois plus qu’un étang ; on m’a enfourné dans une bouffonnerie, dont j’ai peur de ne me pas tirer. Je travaille avec un dégoût extrême ; je ne suis soutenu que par vos bontés. Dites à M. de Solar que ni Virgile ni Le Tasse n’ont été improvisatori ; on ne fait sur-le-champ que des choses médiocres tout au plus. Ce goût improvisare est le sceau de la barbarie chez les Italiens. Voilà nos troubadours ressuscités.

Vous buvez, mon adorable ange, la dernière bouteille de mon vin ; mais je me flatte que je ferai à Cirey une bonne cuvée, cet été, et que je vous fournirai encore un petit tonneau pour l’hiver. Pardon, je comptais vous faire ma petite cour ce matin ; je ne sais si je serai assez heureux pour voir mes deux anges. Empêchez bien La Noue d’être fâché, car, en vérité, il ne doit pas l’être. La Noue Orosmane ! Ah !

À propos, mon divin ange, je n’ai pas cru qu’il fût du respect de vous prier d’honorer de votre présence notre orgie d’histrions ; mais si vous étiez assez humain pour nous faire cet honneur, vous nous causeriez le plus grand plaisir.

Nous nous réservons toujours pour le beau jour. Mais si, par exemple, Mme d’Argental voulait alors nous honorer de sa présence, avec quelqu’une de ses amies, j’en écrirais sur-le-champ au tyran duc de Richelieu, et je répondrais bien que ce sultan recevrait dans son sérail de telles odalisques. Si Mme d’Argental veut venir entendre de très-belle musique, il ne tient donc qu’à elle. Je vais à bon compte la mettre sur la liste ; et, quand elle se présentera, on lui ouvrira les deux battants.

Encore un mot. Si ces anges, qui tiennent une si bonne maison, veulent donner à souper mercredi à Mme Newton-pompon du Châtelet, on attend leurs ordres pour s’arranger, et on baise le bout de leurs ailes. Je m’arrange très-bien de les aimer à la fureur ; écoutez, chers anges, pourquoi donc êtes-vous si aimables ?

  1. Cette lettre, dans laquelle il est question des répétitions de la Princesse de Navarre, jouée le 23 février 1745, dut être écrite quelques semaines auparavant. (Cl.)