Correspondance de Voltaire/1744/Lettre 1669

Correspondance de Voltaire/1744
Correspondance : année 1744GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 316-317).

1669. – À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Le 9 août.

Adorable ami, je reçois votre lettre. Vous corrigez la Princesse de Navarre et Prault ; il faut que je vienne vous remercier de tous vos bienfaits. Mme du Châtelet et Dieu me sont témoins que je rapetassais la scène manquée, quand votre lettre est venue. Songez qu’il n’y a pas encore trois mois que j’ai entrepris un ouvrage extrêmement difficile, qui demanderait plus de six mois d’un travail assidu pour être tolérable. Je n’ai jamais travaillé aux divertissements qu’à regret et à la hâte, ne pouvant les bien faire que quand la pièce achevée me laissera de la liberté dans l’esprit.

Tout malade que je suis, je n’en ai pas moins d’envie de vous plaire. Une fille d’Éole, nommée Arné, avec qui Neptune eut une passade, viendra très-bien à la place de Calisto. Il n’y a qu’à substituer aux quatre vers de Calisto ces quatre-ci :

De l’empire inconstant des airs
La fille d’Éole
Descend et revole
Près du dieu des mers[1].

Je sens bien que M. de Richelieu voudrait une répétition des divertissements avant son départ pour l’Espagne ; mais, s’il veut tout précipiter, il gâtera tout. Il a déjà fait assez de tort à la pièce, en me forçant d’en faire le plan chez lui à Versailles, et d’y mettre une espèce de Jodelet dont vous l’avez dégoûté trop tard. Vous voyez, mon cher ange gardien, que votre empire est assez difficile à conduire, et qu’il faut donner le temps à vos sujets de semer et de cultiver leurs terres, qui ne peuvent pas produire en trois mois.

Je crois enfin avoir, à peu de chose près, dégrossi la comédie. Je vais me mettre aux divertissements. Au nom de Dieu, ne m’en demandez pas trois dans un acte ter repetita nocent[2] ; cela serait insupportable. Il faut bien prendre garde que les ballets dans la pièce n’étouffent l’intérêt.

M. de Richelieu veut despotiquement que nous revenions à Paris, et je sens que mon cœur dit oui, puisque je vous reverrai.

  1. On ne trouve pas ces vers dans la Princesse de Navarre.
  2. Horace, de Arte poetica, 365, a dit :
    Decies repetita placebit.