Correspondance de Voltaire/1744/Lettre 1635

Correspondance de Voltaire/1744
Correspondance : année 1744GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 275-276).

1635. — À LA REINE DE PRUSSE[1].
À Paris, ce 7 janvier 1744.

Madame, j’écris en vers au Roy, et à Son Altesse Royale mais la poésie ne me fournit rien d’assez fort pour remercier Votre Majesté. J’auray devant les yeux toute ma vie ce portrait de la meilleure Reine, de la meilleure mère qui soit au monde. J’ay reçu tres tard ce présent qui renferme à la fois tout ce que nous avons de plus auguste et de plus aimable, et je me hâte d’en remercier Votre Majesté à l’instant que je le reçois. Je luy demande tres humblement pardon de n’avoir point joint à mes œuvres, que j’ay pris la liberté de lui envoyer, cette tragédie de Zulime dont j’avois eu l’honneur de luy réciter deux actes ; mais je l’ay beaucoup retravaillée pour la rendre moins indigne d’etre présentée à cette assemblée de deesses à qui j’ay eu le bonheur de faire verser quelques larmes. Toutte mon ambition, Madame, est de venir mettre moy meme tout ce que j’ay fait aux pieds de Votre Majesté, et de travailler desormais sous ses yeux. Je ne veux peindre que des vertus, et surtout des vertus aimables ; cest donc dans l’attelier de Montbijou quil faut absolument que je travaille. Il est bien dur d’etre loin de ses modeles. Cela glace le genie. Votre Majesté sait avec quelle passion je désire de pouvoir passer dans sa cour le reste de ma vie.

Je suis avec le plus profond respect et la plus vive reconnaissance, Madame, de Votre Majesté le tres humble et tres obeissant serviteur.

Voltaires.

  1. Éditeur, Victor Advielle. On ne connaît pas d’autre lettre de Voltaire à Sophie-Dororhée de Hanovre, reine de Prusse, mère du grand Frédéric. Cette lettre est une de celles dont nous croyons devoir reproduire l’orthographe.