Correspondance de Voltaire/1742/Lettre 1509

Correspondance de Voltaire/1742
Correspondance : année 1742GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 132-134).

1509. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Juin.

Sire, me voilà dans Paris[1] ;
C’est, je crois, votre capitale.
Tous les sots, tous les beaux esprits,
Gens à rabat, gens à sandale,

Petits-maitres, pédants rigris[2],
Parlent de vous sans intervalle.
Sitôt que je suis aperçu,
On court, on m’arrête au passage ;
« Eh bien ! dit-on, l’avez-vous vu.
Ce roi si brillant et si sage ?
Est-il vrai qu’avec sa vertu
Il est pourtant grand politique ?
Fait-il des vers, de la musique
Le jour même qu’il s’est battu ?
Comment, à lui-même rendu,
Le trouvez-vous sans diadème,
Homme simple redevenu ?
Est-il bien vrai qu’alors on l’aime
D’autant plus qu’il est mieux connu,
Et qu’on le trouve dans lui-même ?
On dit qu’il suit de près les pas
Et de Gustave et de Turenne
Dans les camps et dans les combats,
Et que le soir, dans un repas,
C’est Catulle, Horace, et Mécène. »
À mes côtés un raisonneur,
Endoctriné par la gazette,
Me dit d’un ton rempli d’humeur :
« Avec l’Autriche on dit qu’il traite.
— Non, dit l’autre, il sera constant,
Il sera l’appui de la France. »
Une bégueule, en s’approchant,
Dit « Que m’importe sa constance ?
Il est aimable, il me suffit ;
Et voilà tout ce que j’en pense ;
Puisqu’il sait plaire, tout est dit. »
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Thieriot · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
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Envoyer au roi des fromages,
Et les emballer prudemment
Dans certains modernes ouvrages.
Thieriot me dit tristement :
« Ce philosophe conquérant
Daignera-t-il incessamment
Me faire payer mes messages ? »
Ami, n’en doutez nullement ;
On peut compter sur ses largesses ;

Mon héros est compatissant,
Et mon héros tient ses promesses,
Car sachez que, lorsqu’il était
Dans cet âge où l’homme est frivole,
D’être un grand homme il promettait,
Et qu’il a tenu sa parole.

C’est ainsi que tout le monde, en me parlant de Votre Majesté, adoucit un peu mon chagrin de n’être plus auprès d’elle. Mais, sire, prendrez-vous toujours des villes, et serai-je toujours à la suite d’un procès ? N’y aura-t-il pas, cet été, quelques jours heureux où je pourrai faire ma cour à Votre Majesté, etc. ?

  1. Je n’ai pu me procurer que trois des vers qui manquaient à cette épître. Ceux qui manquent encore sont relatifs à Mme de Mailly, maîtresse de Louis XV. (B.) Voyez les lettres 1517 et 1526.
  2. Voyez la note, tome IV, page 420.