Correspondance de Voltaire/1741/Lettre 1426

Correspondance de Voltaire/1741
Correspondance : année 1741GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 39-40).

1426. — À M. HELVÉTIUS.
À Bruxelles, le 3 avril.

J’ai reçu aujourd’hui, mon cher ami, votre diamant, qui n’est pas encore parfaitement taillé, mais qui sera très-brillant.

Croyez-moi, commencez par achever la première Épître[1] elle touche à la perfection, et il manque beaucoup à la seconde[2].

Votre première Épître, je vous le répète, sera un morceau admirable ; sacrifiez tout pour la rendre digne de vous ; donnez-moi la joie de voir quelque chose de complet sorti de vos mains. Envoyez-la-moi dans un paquet un peu moins gros que celui d’aujourd’hui. Il n’est pas besoin de page blanche. D’ailleurs, quand vous en gardez un double, je puis aisément vous faire entendre mes petites réflexions. J’ai autant d’impatience de voir cette épître arrondie que votre maîtresse en a de vous voir arriver au rendez-vous. Vous ne savez pas combien cette première épître sera belle, et moi je vous dis que les plus belles de Despréaux seront au-dessous ; mais il faut travailler, il faut savoir sacrifier des vers vous n’avez à craindre que votre abondance, vous avez trop de sang, trop de substance : il faut vous saigner et jeûner. Donnez de votre superflu aux petits esprits compassés, qui sont si méthodiques et si pauvres, et qui vont si droit dans un petit chemin sec et uni qui ne mène à rien. Vous devriez venir nous voir ce mois-ci ; je vous donne rendez-vous à Lille nous y ferons jouer Mahomet ; La Noue le jouera, et vous en jugerez. Vous seriez bien aimable de vous arranger pour cette partie.

J’ai peur que nous n’ayons pas raison contre Mairan, dans le fond mais Mairan a un peu tort dans la forme, et Mme du Châtelet méritait mieux. Bonsoir, mon cher poëte philosophe ; bonsoir, aimable Apollon.

  1. L’Épitre sur l’amour de l’Étude.
  2. L’Épitre sur l’orgueil et la paresse de l’Esprit. Voyez les Remarques de Voltaire, tome XXIII, page 5.