Correspondance de Voltaire/1740/Lettre 1242

Correspondance de Voltaire/1740
Correspondance : année 1740GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 383-384).

1242. — À MADEMOISELLE QUINAULT.
À Bruxelles, rue de la Grosse-Tour,
ce 17 février 1740.

J’avais eu l’honneur de répondre à votre lettre, mademoiselle, avant de la recevoir ; je vous écrivis hier 16, et aujourd’hui 17 je reçois votre prose, que je préfère à tous mes vers. Plus je tâche de rappeler dans ma mémoire les endroits que vous voulez que je corrige, et moins je peux m’en former une idée nette. Je ne me suis souvenu que de la situation du cinquième acte ; et, à tout hasard, voici ce qui me vient au bout de la plume : vous le trouverez sur un papier séparé ; si cela ne s’emboîte pas bien, un petit coup de la main de vos amis aidera à le faire entrer ; ou si vous voulez me faire transcrire cet endroit, peut-être qu’en le relisant mon imagination sera plus échauffée, et fera quelques efforts moins indignes de vous.

Vous avez grande raison, mademoiselle, d’insister sur le pathétique de cette scène. Ce n’est pas assez de peindre avec vérité, il faut peindre d’une manière forte et touchante ; et si ce qui doit émouvoir ne porte qu’une lumière sans chaleur, le spectateur demeure à la glace, et s’ennuie sans avoir même le plaisir de critiquer. Souvent un ou deux vers, un hémistiche, placés à propos, réchauffent une scène ; et quand on a trouvé la pensée et le mot convenable, si on en dit plus, on énerve la situation au lieu de l’embellir. Voyez s’il y a du trop ou du trop peu dans ce que j’ai l’honneur de vous envoyer, et si j’ai rencontré ce milieu que vous sentez si bien. Je suis bien loin d’écrire comme vous jugez.

J’ai déjà eu l’honneur de vous mander que Zulime ne me parait convenable qu’à Mlle Dumesnil ; et Atide, qu’à Mlle Gaussin ; mais je vous renouvelle encore la protestation de la nécessité où je suis de ne point paraître : mon nom renouvellerait les cabales, et nuirait à vos intérêts. Laissez-moi donc, mademoiselle, vous servir en silence, et m’en remettre à votre prudence pour tout ce qui concerne un ouvrage qui vous est soumis comme moi-même.

Mme du Châtelet vous fait bien ses compliments ; vous connaissez les sentiments qui m’attachent à votre char pour toute ma vie. V.

À la dernière scène, Atide ne dit-elle pas à Zulime :

Vous savez à quel point je vous avais trompée ;
J’ai trahi tout, bienfaits, confidence, amitié.
Ah ! donnez-moi la mort par haine ou par pitié.

À quoi on pourrait ajouter :

N’armez point cette main si chère et si sacrée
Contre un cœur qui, sans moi, vous aurait adorée ;
C’est votre amant, hélas ! S’il a pu vous trahir,
S’il m’aime, si je meurs, le peut-on mieux punir ?

RAMIRE.

Au nom de mes forfaits, soyez inexorable.
Frappez.

ZULIME.

Je vais percer le cœur le plus coupable.