Correspondance de Voltaire/1740/Lettre 1241

Correspondance de Voltaire/1740
Correspondance : année 1740GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 382-383).

1241. — À MADEMOISELLE QUINAULT.
Bruxelles, ce 16 février 1740.

J’écris, mademoiselle, par cette poste, à M. d’Argental ; je vous mande, comme à lui, que je ne peux faire l’impossible, et qu’il n’est pas en moi de corriger les derniers actes de l’ancienne Zulime, que vous voulez jouer, par la raison que ces actes sont à Paris parmi mes paperasses.

Vous aviez très-grande raison d’en être mécontente ; mais si, malgré les défauts de ces deux derniers actes, vous voulez représenter cette Zulime, donnez-la donc telle que vous l’avez. Je vois que les changements qu’on me demande sont très-peu de choses et n’influeront en aucune manière sur le bon ou mauvais succès de l’ouvrage.

Tout ce que je peux avoir l’honneur de vous dire sur Zulime, c’est que je ne m’en avouerai jamais l’auteur, et que je ne la ferai point imprimer, eût-elle quarante représentations. Il se peut faire que le jeu des acteurs, le contraste de Mlles Gaussin et Dumesnil, l’avantage de paraître après Edouard III, lui donnent quelque cours ; mais tout cela ne me donnera point d’amour-propre, et je serai toujours de votre avis, et de celui de M. de Pout-de-Veyle, que cette pièce est très-faible.

Il n’en est pas de même de Mahomet ; elle est, à la vérité, plus difficile à jouer : il n’y a aucun rôle qui convienne au talent de monsieur votre frère ; il est trop formé pour jouer Séide, il est trop aimable pour jouer Mahomet ; et la même raison qui fait que le rôle de Joad ne lui sied pas ferait tort à Mahomet sans doute. Cependant, malgré cet inconvénient, Mahomet est un ouvrage que j’avouerai toujours, et je me trompe s'il n’a pas les suffrages des connaisseurs. J’en envoie, par cette poste, les deux derniers actes fort corrigés à M. de Pont-de-Veyle. Si j’en étais cru, on jouerait Mahomet ce carême, après avoir joué quelques pièces tendres pour varier ; mais enfin je me soumets absolument à vous et à mes anges.

Jouez Zulime ou Mahomet quand vous voudrez, vous êtes les maîtres ; j’aurai toujours, avec le remords d’être si peu digne de vous, la plus tendre reconnaissance pour vos bontés.

Je demande toujours en grâce que Minet ne transcrive point les rôles ; que l’on rende la pièce à M. de Pont-de-Veyle après les représentations, et que jamais on ne me nomme pour l’auteur de Zulime. Il n’est pas douteux que M. Dufresne ne soit l’amant aimé de tout le monde, Ramire ; Benassar, M. Sarrazin ; Atide, Mlle Gaussin ; Zulime, Mlle Dumesnil.

On me propose d’écrire à Mlle Gaussin pour lui faire accepter Atide ; mais je ne veux nullement mettre mon secret entre les mains de Mlle Gaussin ; passe pour mon rôle : elle ferait du secret comme de ce rôle, elle le dirait. Ménagez cette petite négociation, mon adorable Thalie ; conservez-moi vos bontés. Je suis à vous en prose et en vers, avec le plus tendre dévouement.