Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 961

Correspondance de Voltaire/1738
Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 41-42).
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961. — À M. L’ABBÉ LE BLANC[1].
À Cirey, ce 11 novembre.

Comme Anglais[2], comme auteur d’Aben-Saïd, comme amateur des arts et de la vérité, comme ayant châtié l’abbé Desfontaines, vous avez, monsieur, mille droits à mon amitié et a mon estime Je ne doute pas que vous n’ayez encore fortifié votre génie par l’étude d’une langue dans laquelle est écrit ce qu’on a jamais pensé de plus fort. Vous avez dû sentir votre âme plus libre et plus à l’aise à Londres ; c’est là que la nature étale des beautés mâles qui ne doivent rien à l’art, Les grâces, l’exactitude, la douceur, la finesse, sont plus le partage des Français.

Utraque poscit opem res et conjurat amice.

Je crois qu’un Anglais qui a bien vu la France, et un Français qui a bien vu l’Angleterre, en valent mieux l’un et l’autre. Vous êtes fait, monsieur, pour joindre le mérite du pays d’où vous venez à celui de votre patrie. Comme vous me feriez un vrai plaisir de m’envoyer les étrivières rimées que vous avez données à ce misérable abbé Desfontaines, également haï et méprisé des Français et des Anglais !

C’est un esclave que son maître
Au front a sagement marqué ;
À tous vous l’avez fait connaître.
On m’a dit que ce vilain prêtre
Est de vos traits bien plus piqué

Que du fouet jadis à Bicêtre
Sur son fessier large appliqué.

Je le crois bien, car il y a quelques ressources, après tout, pour les blessures de son derrière, et il n’y en a point contre une bonne épigramme de votre main. Si vous aviez fait quelque chose de nouveau, et que vous voulussiez l’envoyer à Cirey, je m’y intéresse presque autant que vous-même. J’aime les belles-lettres avec ardeur. Personne n’est plus en état que vous d’empêcher qu’elles ne tombent en France. Il ne m’appartient pas de vous exhorter à travailler ; mais je peux au moins vous dire combien je souhaite de joindre de nouveaux applaudissements à ceux que je vous ai déjà donnés.

Je suis, avec bien de l’estime et de l’amitié, votre, etc.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François
  2. Le Blanc est auteur des Lettres sur l’Angeterre, qu’il avait habité longtemps.