Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 812

Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 379-382).
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812. — À M. L’ABBÉ MOUSSINOT[1].
Ce 10 (janvier 1738).

En réponse à votre lettre du 6 janvier 1738.

1° J’avais déjà par devers moi la sentence des requêtes pour la vente de Spoix, et je me confirme tous les jours dans l’idée que ce serait une bonne acquisition. Ainsi donc, si de votre côté vous pouvez arrêter la somme de vingt ou trente mille francs qu’on emploierait par privilège pour m’aider dans cette acquisition je vous serais très-obligé. Nous avons du temps pour y penser d’ici en avril ou mai.

Je savais aussi que le château restait à Mme d’Estaing, veuve du cordon bleu, qui a, je crois, ce château pour son habitation ; mais je savais qu’elle a quatre-vingts ans, et que d’ailleurs elle cédera son droit pour très-peu de chose.

De plus, je ne compte point habiter sitôt à Spoix, et je me flatte seulement qu’étant à portée de très-bien régir cette terre, je la ferais valoir beaucoup plus qu’elle n’est affermée depuis cent ans. Mais j’ai tout lieu de croire que ce décret par lequel on vend cette terre est un accord par lequel quoiqu’un de la famille veut se la faire adjuger, Mme de Maulevrier, fille de M. d’Estaing, le cordon bleu, est probabIenient la personne qui a cette terre en vue. Voilà de quoi ce M. Martin d’Arras pourrait très-bien vous instruire, et, en ce cas, si Mme de Maulevrier voulait passer un compromis avec moi, je m’arrangerais avec elle pour avoir cette terre à vie. C’est une petite négociation que je remets à votre prudence.

2° J’attends la décision de M. Chopin, mais ce ne sera pas de l’argent comptant. Voilà pourquoi, dans l’état des sommes que je voudrais avoir vers mars, je n’ai point compris la dette de M. de Guise, ni même celle de M. de Lézeau.

3° Je suis fâché, et je vous demande pardon de la peine que vous vous donnez d’aller vous-même chez Prault. Mais on ne fait point de réponse à mes petits billets, en marge, et c’est ce que je voulais. Au reste, je charge Prault de m’envoyer les livres dont j’ai besoin, parce que c’est à compte de l’argent qu’il me doit. (Voyez l’art. 8°) Monsieur votre frère me ferait plaisir de me chercher l’abrégé des Transactions philosophiques, neuf volumes, chez Briasson, Cavelier, Bauche, etc. Alors Prault me les achèterait, et cela entrerait dans mon compte. Je le prie aussi de me chercher Introductio ad veram physicam, a Joanne Keil, et, si cela se peut, la Dissertation de M. de Mairan sur les Phosphores, 1717. Mais où trouver cela ? J’attends le Téléphonte.

4° En donnant le louis à d’Arnaud, donnez-lui, je vous prie, ce billet.

5° Je reviens à la terre en question. J’apprends qu’il y a beaucoup de réparations à faire, chose très-naturelle dans une terre en décret.

Il y a des vignes assez bien tenues ; mais onze cents[2] arpents de bois sont entièrement dévastés, et tous les gros chênes ont été vendus.

J’entrevois que si la terre est vendue soixante mille francs, il y faudra faire pour huit mille francs de réparations. Joignez-y le quint et le requint qu’il faut payer en entier, cela reviendra à plus de quatre-vingt mille francs, et je ne crois pas que la terre puisse jamais rapporter, toute charge faite, plus de trois mille cinq cents livres de rente, administrée avec toute l’économie possible. Je n’en ai pas, du moins jusqu’à présent, d’autres notions.

Si les choses sont ainsi, si on a déjà offert plus de soixante mille livres (ce que vous pourrez savoir), il faudrait en ce cas y renoncer, et prendre le parti de placer sur M. de Brezé les trois mille livres[3]. Cet emploi serait d’autant plus agréable que l’on serait payé aisément et régulièrement sur des maisons à Paris. Voici donc mon avis :

En cas que l’emploi sur M. de Brezé soit solide, je serais d’avis que vous prissiez vingt-cinq mille francs chez M. Michel, et que vous les plaçassiez sur M. de Brezé, et si, après cela, la terre de Spoix pouvait se donner pour cinquante mille livres, nous les trouverions bien vers le mois d’avril ; nous emprunterions une partie au denier vingt ; je trouverais quelque chose dans le pays où je suis ; je vendrais mes actions ; j’aurais encore quelque argent que nous allons recevoir. En un mot, je vois que je peux fort bien placer actuellement vingt-cinq mille livres, et acheter encore la terre cinquante mille livres, et, si elle valait davantage, je ne crois pas, à vue de pays, que je dusse l’acheter. Le résultat de tout ce verbiage est donc que vous placiez vingt-cinq mille livres en rentes viagères au denier dix, et que vous tâchiez à votre loisir d’assurer, vers le mois d’avril, un emprunt d’environ vingt à trente mille livres à placer par privilège sur une terre de trois mille livres de rentes : cela ne sera pas, je crois, difficile.

6° Une chose que j’ai extrêmement à cœur, c’est que l’on puisse dorénavant recevoir avec exactitude mes rentes viagères et autres. Je crois que j’y parviendrai : 1° en faisant signifier, comme nous avons fait, la délégation de M. de Guise aux fermiers, et en saisissant ailleurs, s’il le faut ; 2° en obtenant de M. de Richelieu une délégation que je solliciterai vivement, et une autre de M. de Lézeau. Le reste se payera assez exactement, et a toujours été assez bien payé : il faut songer à jouir.

7° J’ai reçu le billet de Mlle d’Amfreville. Avez-vous vu ma nièce ?

8° Voici un billet pour monsieur votre frère, dont j’attends réponse en marge.

9° Je vous avais prié de vous informer d’une lunette d’environ vingt-cinq pieds, et de ce que cela coûte, parce que j’en marchande une ici.

Souvenez-vous que, parmi les bouteilles d’encre renvoyées à la femme de Lebrun, il y a un thermomètre qu’il faut rendre à votre monsieur, pour qu’il m’en donne un autre.

  1. Édition Courtat.
  2. Duvernot a remplacé onze cents par onze ! (C.)
  3. Ce doit être trente mille. Le nombre est écrit eu chiffres, et Voltaire aura oublié un zéro. (C.)