Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 691

Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 177-178).
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691. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Ce 1er décembre.

Votre ministère, à l’égard de Cirey, {{lang|benefactor in utroque jure, est le même que celui des protecteurs des couronnes, à Rome. Vous veillez sur ce petit coin de terre ; vous en détournez les orages ; vous êtes une bien aimable créature. Vous sentez tout ce que je vous dois, car votre cœur entend le mien, et vous avez mesuré vos bontés à mes sentiments. Écoutez, nous sommes dans les horreurs de Newton ; mais l’Enfant prodigue n’est pas oublié. Mandez-moi vos avis, c’est-à-dire vos ordres définitivement. Faut-il le laisser reposer, et le reprendre à Pâques ? Très-volontiers ; en ce cas, nous attendrons à Pâques à le faire imprimer ; mais gare l’ami Minet[1] et les comédiens de campagne, qui en ont, dit-on, des copies ! Si vous voulez suivre le train ordinaire, et qu’on imprime à présent, renvoyez-nous la copie que vous avez, avec annotations ; il y a dans cette copie nouvelle du bon en petite quantité, qu’il faut conserver. Je crois la tournure des premiers actes meilleure de cette seconde cuvée. Je demande toujours un passe-port pour monsieur le président, car monsieur le sénéchal me paraît si provincial et si antiquaille que je ne peux m’y faire. Si vous avez quelque chose à me mander librement, vous savez le moyen, vous avez l’adresse. Au reste je vous avertis que, quand vous voudrez avoir une tragédie, il faudra faire vos supplications à la divinité newtonienne, qui, à la vérité, soutire les vers, mais qui aime passionnément la règle de Kepler, et qui fait plus de cas d’une vérité que de Sophocle et d’Euripide.

Qu’avez-vous ordonné du sort de ce petit écrit[2] sur les trois infâmes épîtres de mon ennemi ? Vous sentez qu’on obtient aisément d’imprimer contre moi ; mais quiconque prend ma défense est sûr d’un refus. En vérité, méritai-je d’être ainsi traité dans ma patrie ? Votre amitié et Cirey me soutiennent.

Vous croyez que Mme  du Châtelet vous dit toutes les choses tendres que vous méritez,

  1. Copiste et souffleur de la Comédie française.
  2. L’Utile Examen ; voyez tome XXII, page 233.