Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 691
Votre ministère, à l’égard de Cirey, {{lang|benefactor in utroque jure, est le même que celui des protecteurs des couronnes, à Rome. Vous veillez sur ce petit coin de terre ; vous en détournez les orages ; vous êtes une bien aimable créature. Vous sentez tout ce que je vous dois, car votre cœur entend le mien, et vous avez mesuré vos bontés à mes sentiments. Écoutez, nous sommes dans les horreurs de Newton ; mais l’Enfant prodigue n’est pas oublié. Mandez-moi vos avis, c’est-à-dire vos ordres définitivement. Faut-il le laisser reposer, et le reprendre à Pâques ? Très-volontiers ; en ce cas, nous attendrons à Pâques à le faire imprimer ; mais gare l’ami Minet[1] et les comédiens de campagne, qui en ont, dit-on, des copies ! Si vous voulez suivre le train ordinaire, et qu’on imprime à présent, renvoyez-nous la copie que vous avez, avec annotations ; il y a dans cette copie nouvelle du bon en petite quantité, qu’il faut conserver. Je crois la tournure des premiers actes meilleure de cette seconde cuvée. Je demande toujours un passe-port pour monsieur le président, car monsieur le sénéchal me paraît si provincial et si antiquaille que je ne peux m’y faire. Si vous avez quelque chose à me mander librement, vous savez le moyen, vous avez l’adresse. Au reste je vous avertis que, quand vous voudrez avoir une tragédie, il faudra faire vos supplications à la divinité newtonienne, qui, à la vérité, soutire les vers, mais qui aime passionnément la règle de Kepler, et qui fait plus de cas d’une vérité que de Sophocle et d’Euripide.
Qu’avez-vous ordonné du sort de ce petit écrit[2] sur les trois infâmes épîtres de mon ennemi ? Vous sentez qu’on obtient aisément d’imprimer contre moi ; mais quiconque prend ma défense est sûr d’un refus. En vérité, méritai-je d’être ainsi traité dans ma patrie ? Votre amitié et Cirey me soutiennent.
Vous croyez que Mme du Châtelet vous dit toutes les choses tendres que vous méritez,