Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 586

Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 62-63).
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586. — À M. DE CIDEVILLE.
À Cirey, ce 25 mars.

Vous avez toutes les vertus, mon cher ami ; vous êtes aussi bon fils que bon ami ; votre cœur est fait pour toutes les différentes espèces de tendresses, et pour remplir tous les devoirs de l’humanité. Vous faites un trait d’homme bien sage de quitter votre charge pour les plaisirs. Je me flatte que vous aurez vos lettres de vétéran. Il est doux d’avoir ce nom et de conserver sa jeunesse ; sans doute l’argent de votre charge, bien placé, augmentera votre fortune : vous aurez, comme Tibulle.

Et mundum victum, non deficiente crumena.

(Hor., liv. I, ep. iv.)

Vous allez finir bientôt vos affaires : car qui n’en passera pas parce que vous ordonnerez, et quel autre arbitre que vous peut-on prendre dans les affaires qui vous concernent ? Mme  la marquise du Châtelet, qui vous écrit par cet ordinaire, espère vous posséder, quelque jour, dans le château dont j’ai été le maçon sous les ordres de cette Minerve ; elle travaille tous les jours à changer ce désert en un séjour délicieux. Il n’y manquera rien quand vous y serez.

Les affaires, les tracasseries, sont venues me chercher de Paris jusque dans le sein de cette solitude ; voilà ce qui fait que je vous écris si peu de choses, et que je n’écris point au philosophe aimable Formont. Je vous embrasse mille fois, mon cher ami ; et l’espérance de vous voir à Cirey augmente tous mes plaisirs et adoucit toutes mes peines. Rouen porte donc aussi des monstres. L’abbé Desfontaines en est un qu’il faudrait étouffer. Adieu.