Correspondance de Voltaire/1735/Lettre 537

Correspondance de Voltaire/1735
Correspondance : année 1735GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 575-576).
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537. — Á M. THIERIOT.
À Cirey, le 20 décembre.

Je suis toujours d’avis qu’il ne soit plus question des grands cheveux plats de Samson ; je gagnerai à cela une sottise sacrée de moins, et ce sera encore une scène de récitatif retranchée. Je n’entends pas trop ce qu’on veut dire par une Dalila intéressante. Je veux que ma Dalila chante de beaux airs, où le goût français soit fondu dans le goût italien. Voilà tout l’intérêt que je connais dans un opéra. Un beau spectacle bien varié, des fêtes brillantes, beaucoup d’airs, peu de récitatifs, des actes courts, c’est là ce qui me plaît. Une pièce ne peut être véritablement touchante que dans la rue des Fossés-Saint-Germain[1]. Phaéton, le plus bel opéra de Lulli, est le moins intéressant.

Je veux que le Samson soit dans un goût nouveau ; rien qu’une scène de récitatif à chaque acte, point de confident, point de verbiage. Est-ce que vous n’êtes pas las de ce chant uniforme et de ces eu perpétuels qui terminent, avec une monotonie d’antiphonaire, nos syllabes féminines ? C’est un poison froid qui tue notre récitatif. Mandez-moi sur cela l’avis de Pollion et de Bernard.

Ne pourriez-vous point savoir ce que le plagiaire de Metastasio et le mien a pris de mes Américains ? J’aurais peut-être le temps de changer ce qu’il a imité. Je ferais comme les gens qu’on a volés, qui changent les gardes de la serrure. Si vous voyez M. le bailli de Froulai et M. le chevalier d’Aidie[2], dites, je vous en prie, à cette paire de loyaux chevaliers combien je suis reconnaissant de leurs bontés. M. de Froulai a parlé en vrai Bayard au garde des sceaux.

Qu’est-ce donc que cette mauvaise pièce intitulée le Tocsin de la Cour ? On dit que c’est le laquais de La Serre[3], ou de Roi qui en est l’auteur. Monsieur le garde des sceaux a-t-il si peu de goût que de me soupçonner de ces bassesses et de ces misères ? Je suis bien las de toutes ces vexations ; et, si je n’avais pas le bonheur de vivre à Cirey, dans le sein de la vertu, des beaux-arts, de l’esprit, et de l’amitié, auprès de la personne la plus respectable qui soit au monde, je dénicherais bien vite de France.

  1. Le Théâtre-Français y a été de 1689 à 1770.
  2. Voyez les lettres 313 et 485.
  3. Voyez la lettre 339.