Correspondance de Voltaire/1735/Lettre 486

Correspondance de Voltaire/1735
Correspondance : année 1735GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 500-501).
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486. — Á M. DE FORMOMT.
À Vassy en Champagne, ce 2. j juin.

Eh bien ! mon cher philosophe, il y a bien du temps que je ne me suis entretenu avec vous. J’ai été à la cour de Lorraine, mais vous vous doutez bien que je n’y ai point fait le courtisan. Il y a là un établissement admirable pour les sciences, peu connu et encore moins cultivé. C’est une grande salle toute meublée des expériences nouvelles de physique, et particulièrement de tout ce qui confirme le système newtonien. Il y a pour environ dix mille écus de machines de toute espèce. Un simple serrurier[1] devenu philosophe, et envoyé en Angleterre par le feu duc Léopold, a fait, de sa main, la plupart de ces machines, et les démontre avec beaucoup de netteté. Il n’y a en France rien de pareil à cet établissement, et tout ce qu’il a de commun avec tout ce qui se fait en France, c’est la négligence avec laquelle il est regardé par la petite cour de Lorraine. La destinée des princes et des courtisans est d’avoir le bon auprès d’eux, et de ne le pas connaître. Ce sont des aveugles au milieu d’une galerie de peintures. Dans quelque cour que l’on aille, on retrouve Versailles. Il faut pourtant vous dire, à l’honneur de notre cour de Versailles, et à l’honneur des femmes, que Mme de Richelieu a fait un cours de physique dans cette salle des machines ; qu’elle est devenue une assez bonne newtonienne, et qu’elle a confondu publiquement certain prédicateur jésuite[2] qui ne savait que des mots, et qui s’avisa de disputer, en bavard, contre des faits et contre de l’esprit. Il fut hué avec son éloquence, et Mme de Richelieu d’autant plus admirée qu’elle est femme et duchesse.

J’ai lu le Turenne. Je ne sais pas trop si ce Turenne était un si grand homme ; mais il me paraît que Ramsai ne l’est pas. Il pille des styles, il en a une douzaine : tantôt ce sont des phrases du cardinal de Retz, tantôt du Télèmaque, et puis du Fléchier et du Mascaron. Il n’est point ens per se, il est ens per accidens ; et, qui pis est, il vole des pages entières. Tout cela ne serait rien s’il m’avait intéressé ; mais il trouve le secret de me refroidir pour son héros, en voulant toujours me faire voir Ramsai. Il va me parler de l’origine du calvinisme ; il ferait bien mieux de me dire que le vicomte s’est fait catholique pour faire son neveu cardinal. Son livre est un gros panégyrique ; et il fait réimprimer de vieilles oraisons funèbres pour servir de preuves.

Que dites-vous des petits Mémoires[3] du roi Jacques ? Ne vous semblent-ils pas, comme ce roi, un peu plats ? Et puis, voulez-vous que je vous dise tout ? je crois qu’il n’y a homme sur terre qui mérite qu’on fasse sur lui deux volumes in-4o. C’est tout ce que peut contenir l’Histoire du siècle de Louis XIV, car tout ce qui a été fait ne mérite pas d’être écrit ; et, si nous n’avions que ce qui en vaut la peine, nous serions moins assommés de livres. Vale, et ama me.

  1. Vairinge ; voyez la note sur la lettre 482.
  2. Voyez les lettres 489 et 512.
  3. C’est ironiquement, sans doute, que Voltaire appelle petits les Mémoires de Jacques II, qui forment deux volumes in-4o, et qui pourtant ne sont qu’un abrégé, fait par Ch. Dryden, des quatre volumes in-folio autographes qui étaient conservés en France, mais qui ont été détruits en 1794. (B.)