Correspondance de Voltaire/1735/Lettre 487

Correspondance de Voltaire/1735
Correspondance : année 1735GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 501-502).
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487. — Á M. DE CIDEVILLE.
À Vassy, en Champagne, ce 26 juin.

En voici bien d’une autre ! je reviens dans ma campagne chérie après avoir couru un grand mois ; je fouille, par hasard, dans les poches d’un habit que Demoulin m’avait envoyé de Paris, je trouve une lettre de mon cher Cideville, du mois de mars dernier, avec la Déesse des songes[1]. J’ai lu avec avidité ce petit acte digne de celui de Daphnis et Chloé. J’ai jeté par terre des livres de mathématiques dont ma table était couverte, et je me suis écrié :

Que ces agréables mensonges
Sont au-dessus des vérités !
Et que votre Reine des songes
Est la reine des voluptés !

Je vous demande en grâce, mon adorable ami, de m’envoyer cet acte de Daphnis et Chloé. Si vous avez quelqu’un qui puisse le transcrire menu, envoyez-le-moi tout simplement par la poste. Il faudra bien un jour faire un ballet complet de tout cela, et je veux le faire mettre en musique, quand je serai de retour à Paris. En attendant, il charmera Émilie, et Émilie vaut tout le parterre. Je crois qu’elle vous a écrit de Paris, il y a quelque temps, et qu’elle vous a mandé qu’elle avait pris Linant pour précepteur de son fils. Il sera à la campagne avec nous, et aura tout le loisir de faire, s’il veut, une tragédie : car, en vérité, il s’en faut beaucoup que la sienne soit faite.

J’en ai fait une[2] aussi, moi qui vous parle, et je ne vous l’envoie point parce que je pense de mon ouvrage comme de celui de Linant ; je ne crois point qu’il soit fait. Je ne veux donner cette pièce qu’après un long et rigoureux examen. Je la laisse reposer longtemps, pour la voir avec des yeux désintéressés, et pour la corriger avec la sévérité d’un critique qui n’a plus la faiblesse de père.

Jeanne, la Pucelle, a déjà neuf chants ; c’est un amusement pour les entr’actes des occupations plus sérieuses.

La métaphysique, un peu de géométrie et de physique, ont aussi leurs temps réglés chez moi ; mais je les cultive sans aucune vue marquée, et par conséquent avec assez d’indifférence. Mon principal emploi à présent est ce Siècle de Louis XIV, dont je vous ai parlé il y a quelques années. C’est la sultane favorite ; les autres études sont des passades. J’ai apporté avec moi beaucoup de matériaux, et j’ai déjà commencé l’édifice ; mais il ne sera achevé de longtemps. C’est l’ouvrage de toute ma vie.

Voilà, mon cher ami, un compte exact de ma conduite et de mes desseins. Je suis tranquille, heureux, et occupé ; mais vous manquez à mon bonheur. Grand merci de l’épithalame[3] que je n’avais point ; mais vous en aviez une bien mauvaise copie.

Je vous souhaite un vrai bonheur,
Mais c’est une chose impossible.

Il y a :

Mais voilà la chose impossible.

Cela est bien différent, à mon gré.

Adieu ; ne vous point aimer, voila la chose impossible.

  1. Vovez les lettres 220 et 479.
  2. Alzire.
  3. Pour le mariage du duc de Richelieu avec Mlle de Guise ; voyez tome X, page 289.