Correspondance de Voltaire/1735/Lettre 475

Correspondance de Voltaire/1735
Correspondance : année 1735GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 490-491).
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475. — Á M. DE F ORMONT.
Ce 17 avril.

Mon cher Formont, vous me pardonnerez si vous voulez ; mais je ne me rends point encore sur Julien. Je ne peux croire qu’il ait eu les ridicules qu’on lui attribue ; qu’il se soit fait débaptiser et tauroboliser de bonne foi. Je lui pardonne d’avoir haï la secte dont était l’empereur Constance, son ennemi ; mais il ne m’entre point dans la tête qu’il ait cru sérieusement au paganisme. On a beau me dire qu’il assistait aux processions, et qu’il immolait des victimes : Cicéron en faisait autant, et Julien était dans l’obligation de paraître dévot au paganisme ; mais je ne peux juger d’un homme que par ses écrits ; je lis les Césars, et je ne trouve dans cette satire rien qui sente la superstition. Le discours même qu’on lui fait tenir, à sa mort, n’est que celui d’un d′philosophe. Il est bien difficile de juger d’un homme après quatorze cents ans ; mais au moins n’est-il pas permis de l’accuser sans de fortes preuves ; et il me paraît que le bien qu’on peut dire de Julien est prouvé par les faits, et que le mal ne l’est que par oui-dire et par conjectures. Après tout, qu’importe ? Pourvu que nous n’ayons aucune sorte de superstition, à la bonne heure que Julien en ait eu.

Vous savez que nos philosophes argonautes[1] sont partis enfin pour aller tracer une méridienne et des parallèles dans l’Amérique. Nous saurons enfin quelle est la figure de la terre, et ce que vaut précisément chaque degré de longitude. Cette entreprise rendra service à la navigation, et fera honneur à la France. Le conseil d’Espagne a nommé quelques petits philosophes espagnols pour apprendre leur métier sous les nôtres. Si notre politique est la très-humble servante de la politique de Madrid, notre Académie des sciences nous venge. Les Français ne gagnent rien à la guerre, mais ils toisent l’Amérique. Savez-vous que l’Académie des belles-lettres s’est chargée de faire une belle inscription pour la besogne de nos argonautes ? Toute cette Académie en corps, après y avoir mûrement réfléchi, a conclu que ces messieurs allaient mesurer un arc du méridien sous un arc de l’équateur. Vous remarquerez que les méridiens vont du nord au sud, et que, par conséquent, l’Académie des belles-lettres, en corps, a fait la plus énorme bévue du monde. Cela ressemble à celle de l’Académie française, qui fit imprimer, il y a quelques années, cette belle phrase : Depuis les pôles glacés jusqu’aux pôles brûlants’[2].

Le papier manque. Vale.

  1. Godin, Bouguer, et La Condamine, qui s’embarquèrent à la Rochelle, le 16 mai 1735, pour Quito.
  2. Voyez tome XXII, page 7.