Correspondance de Voltaire/1735/Lettre 462

Correspondance de Voltaire/1735
Correspondance : année 1735GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 478-480).
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462. — Á MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.

J’ai reçu, madame, une lettre charmante. Comment ne le serait-elle pas, écrite par vous et par M. de Formont ? Une lettre de vous est une faveur dont je n’avais pas besoin d’être privé si longtemps pour en sentir tout le prix. Mais des vers ! des vers, des rimes redoublées ! Voilà de quoi me tourner la cervelle mille fois, si votre prose d’ailleurs ne suffisait pas.

De qui sont-ils ces vers heureux,
Légers, faciles, gracieux ?
Ils ont, comme vous, l’art de plaire.
Du Deffant, vous êtes la mère

De ces enfants ingénieux.
Formont, cet autre paresseux,
En est-il avec vous le père ?
Ils sont bien dignes de tous deux ;
Mais je ne les méritais guère.

Je suis enchanté pourtant comme si je les méritais. Il est triste de n’avoir de ces bonnes fortunes-là qu’une fois par an, tout au plus.

Ah ! ce que vous faites si bien,
Pourquoi si rarement le faire ?
Si tel est votre caractère,
Je plains celui qu’un doux lien
Soumet à votre humeur sévère.

Il est bien vrai qu’il y a des personnes fort paresseuses en amitié, et très-actives en amour ; il est vrai encore qu’une de vos faveurs est sans doute plus précieuse que mille empressements d’une autre. Je le sens bien par cette lettre séduisante que vous m’avez écrite, et c’est précisément ce qui fait que j’en voudrais avoir de pareilles tous les jours.

Je me sais bien bon gré d’avoir griffonné dans ma vie tant de prose et de vers, puisque cela a l’honneur de vous amuser quelquefois. Mes pauvres quakers[1] vous sont bien obligés de les aimer ; ils sont bien plus tiers de votre suffrage que fâchés d’avoir été brûlés. Vous plaire est un excellent onguent pour la brûlure. Je vois que Dieu a touché votre cœur, et que vous n’êtes pas loin du royaume des cieux, puisque vous avez du penchant pour mes bons quakers.

Ils ont le ton bien familier ;
Mais c’est celui de l’innocence.
Un quaker dit tout ce qu’il pense.
Il faut, s’il vous plaît, essuyer
Sa naïve et rude éloquence ;
Car, en voulant vous avouer
Que sur son cœur simple et grossier
Vous avez entière puissance,
Il est homme à vous tutoyer,
En dépit de la bienséance.

Heureux le mortel enchanté
Qui dans vos bras, belle Délie,

Dans ces moments où l’on s’oublie,
Peut prendre cette liberté,
Sans choquer la civilité
De notre nation polie.

Quelque bégueule respectable trouvera peut-être, madame, ces derniers vers un peu forts ; mais vous, qui êtes respectable sans être bégueule, vous me les pardonnerez.

  1. Les quatre premières Lettres philosophiques.