Correspondance de Voltaire/1734/Lettre 449

Correspondance de Voltaire/1734
Correspondance : année 1734GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 461-462).
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449. — Á M. BERGER.
Á Cirey, le …

J’ai eu réponse, monsieur, touchant l’affaire dont vous avez bien voulu me charger. On me mande qu’on fera tout au monde pour l’amener à une heureuse fin ; mais qu’il faudrait que je fusse à Paris pour discuter. Une des choses qui me fait le plus regretter Paris est de savoir que je pourrais vous y être utile. Soyez sûr que je n’omettrai rien pour mériter la confiance que vous avez bien voulu avoir en moi.

J’apprends, avec beaucoup de plaisir, que M. de Crébillon est sorti du vilain séjour où on l’avait fourré[1]. Il a donc vu

Cet horrible château, palais de la vengeance,
Qui renferme souvent le crime et l’innocence.

(Henriade, ch. IV, v. 433.)

Le roi le nourrissait et lui donnait le logement. Je voudrais qu’il se contentât de lui donner la pension. J’admire la facilité avec laquelle on dépense douze à quinze cents livres par an pour tenir un homme en prison, et combien il est difficile d’obtenir une pension de cent écus. Si vous voyez le grand enfant de Crébillon, je vous prie, monsieur, de lui faire mille compliments pour moi, et de l’engager à m’écrire.

S’il faut se réjouir avec l’auteur de l’Histoire japonaise, il faut s’affliger avec l’auteur de Tithon et l’Aurore[2]. Si je savais où le prendre, je lui écrirais pour lui faire mon compliment de condoléance de n’être plus avec un prince, et pour le féliciter d’avoir retrouvé sa liberté.

Vous voyez sans doute M. Rameau. Je vous prie de l’assurer qu’il n’a point d’ami ni d’admirateur plus zélé que moi, et que si, dans ma solitude et dans ma vie philosophique, je retrouve quelque étincelle de génie, ce sera pour le mettre avec le sien.

Quand vous n’aurez rien à faire de mieux, et que vous voudrez bien continuer à me donner de vos nouvelles, vous me ferez un extrême plaisir ; quand on n’a pas le plaisir de vous voir,rien ne peut consoler que vos lettres.

Est-il vrai que le comte de Charolais ait écrit la lettre[3] dont on a parlé ? Est-il vrai que l’auteur de Tithon ait été disgracié pour avoir vieilli, en un jour, de quelques années, auprès de la Camargo ? Est-il vrai que l’abbé Houteville ait fait une longue harangue[4], et le duc de Villars un compliment fort joli ? Est-il vrai que vous ayez toujours de l’amitié pour moi ?

  1. Claude-Prosper Jolyot de Crébillon fils, né en 1707, mort en 1777, fut emprisonné, en 1734, pour son ouvrage intitulé Tanzai et Néardané, ou l’Écumoire, histoire japonaise, contenant des obscénités, et des traits contre le cardinal de Rohan, la duchesse du Maine, et la bulle Unigenitus. (B.)
  2. Moncrif venait de perdre sa place de secrétaire des commandements du prince de Clermont.
  3. Voyez plus bas la lettre 452.
  4. Le discours de l’abbé Houteville pour la réception du duc de Villars, le 9 décembre 1734, était cinq fois plus long que celui du récipiendaire.