Correspondance de Voltaire/1734/Lettre 434

Correspondance de Voltaire/1734
Correspondance : année 1734GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 450-451).
◄  Lettre 433
Lettre 435  ►

434. — Á M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Dans un cabaret hollandais, sur le chemin de Bruxelles, le 4 novembre.

Mon cher et respectable ami, voilà horriblement du bruit pour une omelette[1]. On ne peut être ni moins coupable ni plus vexé. Je n’ai pas manqué une poste. Ce n’est pas ma faute si elles sont très-infidèles dans les chemins de traverse de l’Allemagne ; et, puisqu’on envoya en Touraine une de vos lettres, adressée en Hollande, on peut avoir fait de plus grandes méprises dans la Franconie et dans la Vestphalie. J’ai été un mois entier sans recevoir des nouvelles de votre amie[2] ; mais j’ai été affligé sans colère, sans croire être trahi, sans mettre toute l’Allemagne en mouvement. Je vous avoue que je suis très-fâché des démarches qu’on a faites. Elles ont fait plus de tort que vous ne pensez ; mais il n’y a point de fautes qui ne soient bien chères, quand le cœur les fait commettre. J’ai les mêmes raisons pour pardonner qu’on a eues de se mal conduire. Vous auriez grand tort, mon cher ange, de m’avoir condamné sans m’entendre. Et quel besoin même aviez-vous de ma justification ? Votre cœur ne devait-il pas deviner le mien ? Et n’est-ce pas au maître à répondre du disciple ? Je me flatte que vous me reverrez bientôt à l’ombre de vos ailes, que vous me rendrez plus de justice, et que vous apprendrez à votre amie à ne point obscurcir par des orages un ciel aussi serein que le nôtre. Mille tendres respects à tous les anges.

Ce 6 novembre.

J’arrive à Bruxelles, où je jouis du bonheur de voir votre amie en bien meilleure santé que moi ; je me croirai parfaitement heureux quand, l’un et l’autre, nous aurons la consolation de vous embrasser.

Je sens ma joie toute troublée par la maladie de Mme d’Argental. J’ai reçu ici une ancienne lettre de M. le commandeur de Solar[3]. Je vais lui répondre. Je me flatte que l’un de mes deux anges l’assurera bien qu’il n’est pas fait pour être oublié. Tous ces ministres de Sardaigne sont aimables ; j’en ai vu dont je suis presque aussi content que de M. de Solar. Adieu, couple charmant ; adieu, divinités de la société et de mon cœur.

  1. C’est le mot attribué à Desbarreaux ; voyez tome XXVI, la septième des Lettres à Son Altesse Monseigneur le prince de ***.
  2. Mme du Châtelet.
  3. Nommé dans la lettre du 2 septembre 1742 à Mme de Solar, sa femme.