Correspondance de Voltaire/1734/Lettre 433

Correspondance de Voltaire/1734
Correspondance : année 1734GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 449-450).
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433. — Á M. DE FORMONT.

Depuis que nous ne nous sommes écrit, mon cher Formont, j’aurais eu le temps de faire une tragédie et un poëme épique ; aussi ai-je fait, au moins en partie, et quelque jour vous entendrez parler de tout cela[1]. Mais que fait à présent votre muse aimable et paresseuse ? Ètes-vous à Rouen ou à Canteleu ? On dit que notre ami Cideville est à Paris ; mandez-moi donc l’endroit où il demeure, afin que je lui écrive. Est-il possible que je ne me trouve point à Paris, pendant le seul voyage qu’il y a fait ! Que sont devenus nos anciens projets de philosopher un jour ensemble, dans cette grande ville si peu philosophe ? Quand est-ce donc que nous pourrons dire ensemble, avec liberté, qu’il n’est pas sûr que la matière soit nécessairement privée de pensée, qu’il n’y a pas d’apparence que la lumière, pour éclairer la terre, ait été faite avant le soleil, et autres hardiesses semblables, pour les-quelles certains fous se sont fait brûler autrefois par certains sots ?

Faites-moi l’amitié, je vous prie, de me mander ce qu’est devenu Jore. Sa famille est-elle encore à Rouen ? Ce misérable Jore en a usé bien indignement avec moi, et bien imprudemment avec lui-même. Cependant je crois que je serai à portée incessamment de lui rendre service, et je le ferai avec zèle, quelques sujets que j’aie de me plaindre de lui.

Je suis bien étonné de n’avoir reçu aucune lettre de M. Linant, depuis qu’il a quitté le petit ermitage dont l’ermite était proscrit. Il me semble que c’est pousser la paresse bien loin que de ne pas daigner, en trois mois, écrire un mot à quelqu’un à qui il devait un peu de souvenir. Mais je lui pardonne, si jamais il fait quelque bon ouvrage. Écrivez-moi, mon cher Formont ; ne soyez pas si paresseux que le gros Linant. Mandez-moi où est notre cher Cideville ; adressez votre lettre sous le couvert de Demoulin, à Paris, vis-à-vis Saint-Gervais. Adieu, vous savez que je vous suis attaché pour toute ma vie.

  1. Il s’agissait de la Pucelle et d’Alzire.