Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 353

Correspondance de Voltaire/1733
Correspondance : année 1733GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 365-366).
◄  Lettre 352
Lettre 354  ►

353. — Á M, DE CIDEVILLE.
Ce dimanche, 26 juillet.

J’aurais dû répondre plus tôt, mon cher ami, à votre charmante lettre, dans laquelle vous me parlez avec tant de prudence, d’amitié et d’esprit. J’attendais de jour en jour le paquet que · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · et j’espère que j’aurai du moins deux mois pour prendre mon parti. Il y a des temps où l’on peut impunément faire les choses les plus hardies ; il y en a d’autres où ce qu’il y a de plus simple et de plus innocent devient dangereux et criminel. Y a-t-il rien de plus fort que les Lettres persanes[1] ? Y a-t-il un lire où l’on ait traité le gouvernement et la religion avec moins de ménagement ? Ce livre, cependant, n’a produit autre chose que de faire entrer son auteur dans la troupe nommée Académie française. Saint-Évremond a passé sa vie dans l’exil pour une lettre qui n’était qu’une simple plaisanterie[2]. La Fontaine a vécu paisiblement, sous un gouvernement cagot. Il est mort, à la vérité, comme un sot, mais, au moins, dans les bras de ses amis. Ovide a été exilé et est mort chez les Scythes, Il n’y a qu’heur et malheur en ce monde. Je tâcherai de vivre à Paris comme La Fontaine, de mourir moins sottement que lui, et de n’être point exilé comme Ovide.

Je ne veux pas assurément, pour trois ou quatre feuillets d’impression, me mettre hors de portée de vivre avec mon cher Cideville. Je sacrifierais tous mes ouvrages pour passer mes jours avec lui. La réputation est une fumée, l’amitié est le seul plaisir solide.

Je n’ai pas un moment, mon cher ami. Je suis circonvenu d’affaires, d’ouvriers, d’embarras et de maladies. Je ne suis pas encore fixé dans mon petit ménage : c’est ce qui fait que je vous écris en courant. J’embrasse notre philosophe Formont. Je n’ai pas encore eu le temps de lui écrire.

Adieu. Je ne sais pas encore si Linant sera un grand poëte ; mais je crois qu’il sera un très-honnête et très-aimable homme.

  1. Imprimées pour la première fois en 1721.
  2. Lettre au maréchal de Créqui sur le traité des Pyrénées. Voyez les Œutres de Saint-Êvremond, I, xxxvij.