Correspondance de Voltaire/1732/Lettre 272

Correspondance de Voltaire/1732
Correspondance : année 1732GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 279-280).
◄  Lettre 271
Lettre 273  ►

272. — Á M. DE FORMONT.
Paris, juillet 1732.

Je ne comptais vous écrire, mon cher ami, qu’en vous envoyant Èriphyle et Zaïre. J’espère que vous les aurez incessamment. En attendant, il faut que je me disculpe un peu sur l’édition[1] de mes œuvres, soi-disant complètes, qui vient de paraître en Hollande. Je n’ai pu me dispenser de fournir quelques corrections et quelques changements au libraire qui avait déjà mes ouvrages, et qui les imprimait, malgré moi, sur les copies défectueuses qui étaient entre ses mains. Mais, ne sachant pas précisément quelles pièces fugitives il avait de moi, je n’ai pu les corriger toutes. Non-seulement je ne réponds point de l’édition, mais j’empêcherai qu’elle n’entre en France. Nous en aurons bientôt une, corrigée avec plus de soin et plus complète. Je doute que, dans cette édition que je médite, je change beaucoup de choses dans l’épître à M. de La Faye[2]. Il est vrai que j’y parle un peu durement de Rousseau ; mais lui ai-je fait tant d’injustice ? N’ai-je pas loué la plupart de ses épigrammes et de ses psaumes ? J’ai seulement oublié les odes ; mais c’est, je crois, une faute du libraire ; j’ai rendu justice à ce qu’il y a de bon dans ses épîtres, et j’ai dit mon sentiment librement sur tous ses ouvrages, en général. Serez-vous donc d’un autre avis que moi, quand je vous dirai que, dans tous ses ouvrages raisonnes, il n’y a nulle raison ; qu’il n’a jamais un dessein fixe, et qu’il prouve toujours mal ce qu’il veut prouver ? Dans ses Allégories, surtout dans les nouvelles, a-t-il la moindre étincelle d’imagination, et ne ramène-t-il pas perpétuellement sur la scène, en vers souvent forcés, la description de l’âge d’or et de l’âge de fer, et les vices masqués en vertus, que M. Despréaux avait introduits auparavant en vers coulants et naturels ? Pour la personne de Rousseau, je ne lui dois aucuns égards ; je n’ai seulement qu’à le remercier d’avoir fait contre moi une épigramme[3] si mauvaise qu’elle est inconnue, quoique imprimée.


Le petit abbé Linant va faire une tragédie : je l’y ai encouragé. C’est envoyer un homme à la tranchée ; mais c’est un cadet qui a besoin de faire fortune, et de tout risquer pour cela. M. de Nesle m’avait promis de le prendre ; mais il ne lui donne encore qu’à dîner. La première année sera peut-être rude à passer pour ce pauvre Linant. Heureusement il me paraît sage et d’une vertu douce. Avec cela il est impossible qu’il ne perce pas à la longue. Adieu. Quand reviendrai-je à Rouen, et quand reviendrez-vous à Paris ?

  1. Voyez la note 2 de la page 236.
  2. C’est la lettre 30.
  3. C’est probablement celle que Voltaire rapporte ailleurs : voyez tome XXIII, pages 41 et 56.