Correspondance de Voltaire/1732/Lettre 271

Correspondance de Voltaire/1732
Correspondance : année 1732GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 277-279).
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271. Á M. DE CIDEVILLE.
Á Paris, le 10 juillet 1732.

Oui, je vais, mon cher Cideville,
Vous envoyer incessamment
La pièce où j’unis hardiment
Et l’Alcoran et l’Évangile,
Et justaucorps et doliman.
Et la babouche et le bas blanc,
Et le plumet et le turban,

Comme votre muse facile
Me l’a dit très-élégamment.
Vous y verrez assurément
Des airs français, du sentiment,
Avec la fierté de l’Asie.
Vous concilierez aisément
Les discours de notre patrie
Avec les mœurs d’un Ottoman ;
Car vous avez ( et dans la vie
C’est sans doute un grand agrément)
D’un chrétien la galanterie,
Et la vigueur d’un musulman.

Mon Dieu, mon cher Cideville, que tous écrivez bien, et que j’ai de plaisir à recevoir de vos lettres ! Je m’attirerais ce plaisir-là plus souvent ; mais comment trouver un instant, au milieu des maladies, des affaires, et des comédiens, gens plus difficiles à mener que mes Turcs ? L’abbé Linant va faire une tragédie[1].

Macte animo, generose puer, sic itur ad astra.

(Vir., Æn., IX, 641.)

Pendant ce temps-là ou joue les cinq Sens à l’Opéra, à la Comédie française, à l’italienne, et à la Foire[2], On ne saurait trop parler de ces messieurs-là, à qui vous avez plus d’obligation qu’un autre. Les miens sont plus faibles que jamais, et il ne me reste que du sentiment.

Vous savez que le parlement de Paris vient de finir sa comédie[3] et de reprendre ses séances. Voilà, mon cher ami, toutes les nouvelles des spectacles.

J’ai reçu, par la poste de Hollande, un exemplaire de la nouvelle édition de mes ouvrages ; il y a bien des fautes. Ces messieurs ont affecté surtout, quand ils ont vu deux leçons dans quelque passage, d’imprimer la plus dangereuse et la plus brûlable. J’empêcherai qu’il n’en entre en France, et je prierai Jore de mettre quelques cartons aux exemplaires qu’il a chez lui. Adieu. Formont ne m’écrit point. Je vous embrasse, et lui aussi, de tout mon cœur.

  1. Elle était intitulée Sabinus ; Linant de l’acheva pas.
  2. Le Ballet des Sens, par Roi, musique de Mouret, fut joué à l’Opéra le 5 juin 1732 ; le Procès des Sens, par Fuzelier, comédie en un acte, fut joué au Théâtre-Français le 16 juin. L’Instinct et la Nature, prologue contenant une critique des pièces de Roi et de Fuzelier, fut joué sur le théâtre de la Foire le 28 juillet. Je ne sais quel est le titre de la pièce donnée aux Italiens, s’il y en eut ; à moins que Voltaire n’ait voulu parler des Serments indiscrets, de Marivaux, jouée le 8 juin. (B.)
  3. Voyez tome XVI, page 70.