Correspondance de Voltaire/1732/Lettre 253

Correspondance : année 1732GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 254-255).
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253. — À M. BERTIN DU ROCHERET[1].

Réponse et envoi de M. Arouet de Voltaire, demeurant chez Mme la marquise de Fontaine-Martel, rue des Bons-Enfants, sur le jardin du Palais-Royal, à Paris.

Paris, le 14 avril 1732.

Je n′ai reçu que fort tard, monsieur, la lettre dont vous m’avez honoré. Je suis bien sensible à la bonté obligeante que vous avez de me communiquer vos lumières sur l’histoire de Charles XII. Je ne manquerai pas, dans la première édition, de profiter de vos remarques. En attendant, j’ai l’honneur de vous envoyer par le carrosse un exemplaire d’une édition nouvelle, dans laquelle vous ne laisserez pas de trouver quelques erreurs corrigées. Vous y verrez encore beaucoup de fautes d’impression, mais je ne réponds pas de celles-là, et je ne songe qu’aux miennes. L’ouvrage a été imprimé, en France[2], avec tant de précipitation et de secret qu’on n’a pas pu avoir de correcteur d’imprimerie. Au reste, monsieur, puisque vous vous êtes occupé aussi à écrire l’histoire, vous n’ignorez pas l’embarras où l’on est bien souvent de choisir entre des relations absolument contraires. Trois officiers généraux qui étaient à Pultawa m’ont fait trois récits différents de cette bataille. M. de Fierville et M. de Villelongue se sont contredits formellement sur les intrigues de la Porte. Ma plus grande peine n’a pas été de trouver des mémoires mais de démêler les bons. Il y a encore un autre inconvénient inséparable de toute histoire contemporaine ; vous sentez bien qu’il n’y a point de capitaine d’infanterie qui, pour peu qu’il ait servi dans les armées de Charles XII et qu’il ait perdu sa valise dans une marche, ne croie que j’ai dû parler de lui. Si les subalternes se plaignent de mon silence, les généraux et les ministres accusent ma sincérité. Quiconque écrit l’histoire de son temps doit s’attendre qu’on lui reprochera tout ce qu’il a dit et tout ce qu’il n’a pas dit ; mais ces petits dégoûts ne doivent point décourager un homme qui aime la vérité et la liberté, qui n’attend rien, ne craint rien, et ne demande rien, et qui borne son ambition à cultiver les lettres.

Je suis bien flatté, monsieur, que ce genre de vie, que j’ai embrassé, m’ait attiré de vous une lettre si jolie et si instructive. Je vous en remercie véritablement. Je vous prie de me continuer l’honneur de vos bonnes grâces.

Je suis parfaitement, etc.

Voltaire.

  1. Parue dans le Bulletin du Bibliophile de 1859, précédée de la lettre suivante :
    Châlons-sur-Marne, 5 août 1859.

    Monsieur le directeur,

    Vous avez bien voulu publier dans un des récents numéros du Bulletin un document inédit sur Adrienne Lecouvreur, extrait du manuscrit de Bertin du Rocheret, que possède la bibliothèque de la ville de Châlons-sur-Marne. En donnant un rapide sommaire des éléments les plus remarquables de ce recueil, je vous signalais une lettre de Voltaire que je crois inédite, et qui me paraît digne d’être publiée Voici d’ailleurs les circonstances qui l′ont provoquée :

    Lors de l′apparition de la première édition de l’Histoire de Charles XII, Bertin du Rocheret, qui était en relations assez étroites avec bon nombre de personnages marquants de cette époque, acteurs dans la lutte où s’était distingué le héros suédois écrivit à Voltaire en lui notant quelques inexactitudes dans cette publication, et en lui communiquant les données suffisantes pour une rectification. Il reçut en réponse la lettre suivante, qui nous révèle quelques circonstances intéressantes sur l’apparition de l′Histoire de Charles XII dans le monde littéraire, et pour laquelle je viens vous demander une place dans les pages du Bulletin.

    Agréez, monsieur le directeur, etc.

    A. Nicaise.
  2. Mais il a mis : À Basle, chez Christophe Revis, 1732, seconde édition. (Note de Bertin du Rocheret.)