Correspondance de Voltaire/1732/Lettre 252

Correspondance de Voltaire/1732
Correspondance : année 1732GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 252-253).
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252. — À M. BROSSETTE[1].
14 avril.

Je suis bien flatté de plaire à un homme comme vous, monsieur ; mais je le suis encore davantage de la bonté que vous avez

de vouloir bien faire des corrections si judicieuses dans l’Histoire de Charles XII.

Je ne sais rien de si honorable pour les ouvrages de M. Despreaux que d’avoir été commentés par vous, et lus par Charles XII. Vous avez raison de dire que le sel de ses satires ne pouvait guère être senti par un héros vandale, qui était beaucoup plus occupé de l’humiliation du czar et du roi de Pologne que de celle de Chapelain et de Cotin. Pour moi, quand j’ai dit que les satires de Boileau n’étaient pas ses meilleures pièces, je n’ai pas prétendu pour cela qu’elles fussent mauvaises. C’est la première manière de ce grand peintre, fort inférieure, à la vérité, à la seconde mais très-supérieure à celle de tous les écrivains de son temps, si vous en exceptez M. Racine. Je regarde ces deux grands hommes comme les seuls qui aient eu un pinceau correct, qui aient toujours employé des couleurs vives, et copié fidèlement la nature. Ce qui m’a toujours charmé dans leur style, c’est qu’ils ont dit ce qu’ils voulaient dire, et que jamais leurs pensées n’ont rien coûté à l’harmonie ni à la pureté du langage. Feu M. de Lamotte qui écrivait bien en prose, ne parlait plus français quand il faisait des vers. Les tragédies de tous nos auteurs, depuis M. Racine, sont écrites dans un style froid et barbare ; aussi Lamotte et ses consorts faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour rabaisser Despréaux auquel ils ne pouvaient s’égaler. Il y a encore, à ce que J’entends dire, quelques-uns de ces beaux esprits subalternes qui passent leur vie dans les cafés, lesquels font à la mémoire de M. Despréaux le même honneur que les Chapelain faisaient à ses écrits, de son vivant. Ils en disent du mal, parce qu’ils sentent que si M. Despréaux les eût connus, il les aurait méprisés autant qu’ils méritent de l’être. Je serais très-fâché que ces messieurs crussent que je pense comme eux, parce que je fais une grande différence entre ses premières satires et ses autres ouvrages. Je suis surtout de votre avis sur la neuvième satire, qui est un chef-d’œuvre, et dont l’Épître aux Muses, de M. Rousseau, n’est qu’une imitation un peu forcée. Je vous serai très-obligé de me faire tenir la nouvelle édition des ouvrages de ce grand homme, qui méritait un commentateur comme vous. Si vous voulez aussi monsieur, me faire le plaisir de m’envoyer l’Histoire de Charles XII, de l’édition de Lyon, je serai fort aise d’en avoir un exemplaire.

  1. Claude Brossette, né à Lyon en 1671, mort en 1743, fut le commentateur de Boileau et l’ami de J.-B. Rousseau. Il avait dans une édition de l’Histoire de Charles XII, changé une phrase ; voyez la lettre 231, et une note, tome XVI, page 259.