Correspondance de Voltaire/1732/Lettre 254

Correspondance de Voltaire/1732
Correspondance : année 1732GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 255-258).
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254. — À M. THIERIOT[1].
Paris, 14 avril 1732.

You are my friend, you love liberty, you have a thinking soul, therefore England must please you. I am not surprised you like M. de Chavigny : he is one of those men born to ingratiate themselves every where ; to humour the dull German, to sooth the haughty English, to converse with the French, to negociate with the subtle Italian. I know he was highly beloved by the late king George and all his court. It is not my business to guess whether he is charged with so favourable a commission as he was formerly : but, whatever will be the footing upon which he treats now with the English, sure I am his person will be very acceptable, though his commission should not. I do not question but you have seen all those whom you have asked letters for. I hope my lord Bolingbroke, Mr Pope, Mr Gay, my lord Harvey, Mr Pulteney, are your friends by this time : sure you talk English with them ; and the first letter I shall receive from you will be entirely English. You will tell me whom you like best, Ben Jonson, or Vanbrugh, or Wycherly. You will set up for a judge between Dryden, Pope, Addison and Prior. In the mean time, if you remember something of French poetry, I will tell you I have made three acts entirely new, which will be acted in a very few days. I hope Ériphyle by these means will rear up her head even above the sacred laurels of Jephté. But I have a more gallant work to perform. Yesterday M. Ballot came to see me, and carried me to M. Lancret’s, where I saw a very pretty picture, which represents the most charming priestess of Diana that ever trod the stage. Mme Sallé’s picture is, as it should be, better than that of Camargo ; yet I require something again in the likeness, which is not perfect. The verses, which are to be engraved under the print, should be better too than those M. La Faye made for Camargo : but I will not fight it against young Bernard’s amiable muse. He is a very assiduous courtier to Mme Sallé : he must sing the nymph whom he sees every day. For my part I had not the luck to find her at home all these days. I went thither three or four times ; she was always out. I design to go to day, and to talk much of you with your divinity.

Now a word about some other affairs. First I entreat you not to show Julius Cæsar before I have sent you many alterations I have made in that poem. If you please I will send you, by the surest way, the new Ériphyle, with a compliment in rhyme, which Dufresne will recite at the ouverture of the French théâtre. There is another business, which I have exceedingly at heart : the plates of the Henriade, great and small, are in the hands of the bookseller Woodman, who lives in Russel-street, Covent-Garden : if you could buy them at a reasonable rate it would be a notable service to me. I know they want to be retouched again by some able hand, and that I will take care of at Paris. Woodman could not make any use of those plates, and they are necessary to me for the great edition of the Henriade, which I design to print at Paris. You must not let him suspect you have any great desire to have those plates, nor that you set a great value upon them. It will be an easy matter to you to buy them very cheap. I will send you the money by the banker you shall appoint. Forgive me if I have not seen Mme Sallé oftener : Ériphyle engrossed all my time and my thoughts. But now I am free from tragic fopperies, I intend to pay my court often to true and modest virtue. Farewell my friend, I will drink your health today with Mmes Tilly et Berenger. The old countess is just the same woman you left, and I the same friend[2].

  1. Pièces inédites, 1820.
  2. Traduction : Vous êtes mon ami, vous aimez la liberté, vous avez une âme pensante, donc l’Angleterre doit vous plaire. Je ne suis point surpris de l’affection que vous ressentez déjà pour M. de Chavigny : c’est un de ces hommes nés pour réussir partout, pour égayer le sombre Allemand, adoucir l’orgueilleux Anglais, causer avec le Français, et négocier avec le subtil Italien. Je sais qu’il était fort aimé du dernier roi George et de toute sa cour. Je ne cherche point à deviner si la commission dont il est chargé aujourd’hui lui est aussi favorable que celle qu’il eut autrefois ; mais, quel que soit le pied sur lequel il traite maintenant avec les Anglais, je suis certain que sa personne sera très-bien venue, même quand son message déplairait.

    Je ne doute pas que vous n’ayez vu tous ceux pour qui vous m’aviez demandé des lettres. J’espère que milord Bolingbroke, M. Pope, M. Gay, mylord Hervey, M. Pulteney, sont à présent de vos amis. Vous parlez sûrement leur langue avec eux, et la première lettre que je recevrai de vous sera, je le suppose, tout à fait anglaise. Vous me direz qui vous préférez de Ben Jonson, Congreve, Vanbrugh ou de Wycherley. Vous vous établirez juge entre Dryden, Pope, Addison, et Prior. À propos, si vous avez conservé quelque souvenir de la poésie française, je vous dirai que j’ai fait trois nouveaux actes qui seront joués sous très-peu de jours. J’espère aider, par là, Ériphyle à relever sa tête même au-dessus des sacrés lauriers de Jephté*. Mais j’ai à m’occuper d’un ouvrage plus galant. Hier M. Ballot vint me voir, et me mena chez M. Lancret, où je vis un fort joli portrait, représentant la plus charmante prêtresse de Diane qui ait jamais paru sur le théâtre ; le portrait de Mlle Sallé est, comme cela doit être, meilleur que celui de Camargo. Cependant je trouve qu’il manque encore quelque chose à la ressemblance, qui n’est pas parfaite. Les vers qui doivent être gravés au-dessous devraient aussi valoir mieux que ceux qui furent faits par M. de La Faye pour Camargo. Mais je ne veux point lutter contre l’aimable muse du jeune Bernard : c’est un des plus assidus courtisans de Mlle Sallé, et il faut bien qu’il chante la nymphe qu’il voit chaque jour. Quant à moi, je n’ai pas eu le bonheur de la trouver chez elle : j’y suis allé trois ou quatre fois, elle était toujours sortie. Je compte y retourner aujourd’hui, et m’entretenir de vous avec votre divinité.

    Parlons maintenant de quelques autres affaires. Je vous conjure d’abord de ne point montrer Jules César avant que je vous aie envoyé plusieurs changements que j’ai faits à cette pièce. Si vous le désirez, je vous enverrai par la plus sûre occasion la nouvelle Ériphyle, ainsi qu’un compliment rimé que doit réciter Dufresne à l’ouverture du Théâtre-Français. Voici encore une autre chose que j’ai fort à cœur. Les planches des gravures de la Henriade, tant grandes que petites, sont entre les mains du libraire Woodman, qui demeure dans la rue Russel, Covent-Garden. Si vous pouviez les acheter à un prix raisonnable, vous me rendriez un grand service. Je sais qu’elles ont besoin d’être retouchées par quelqu’un d’habile, et je m’en occuperais à Paris. Woodman ne pourrait rien faire de ces planches, et elles me seraient très-nécessaires pour compléter la grande édition de la Henriade, que je compte faire imprimer à Paris. Il ne faut pas lui laisser soupçonner que vous avez envie d’avoir ces gravures, ou que vous y attachez beaucoup de valeur : alors il vous sera facile de les lui acheter à très-bon marché. Je vous ferai passer l’argent par le banquier qu’il vous plaira de me désigner. Pardonnez-moi de n’avoir pas vu plus souvent Mlle Sallé. Ériphyle occupait tout mon temps et toutes mes pensées ; mais maintenant que je suis débarrassé du fatras tragique, je compte aller de temps en temps faire ma cour à la sincère et modeste vertu. Adieu, mon ami, je boirai à votre santé aujourd’hui avec Mmes de Tilly et Bérenger. La vieille comtesse est toujours la même, exactement comme lorsque vous l’avez laissée, et moi toujours pour vous le même ami.

    *. Opéra de Pellegrin.