Correspondance de Voltaire/1729/Lettre 184

Correspondance de Voltaire/1729
Correspondance : année 1729GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 185-187).
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184. — À M. THIERIOT[1].

1729.

Gratissima nobis fuit epistola tua, amice carissime : but again and again do not babble out you have any correspondance with me ; our private intercourse will be the more friendly the more it is kept secret. I write to nobody in the world. The duke of Richelieu is angry at me for having left off scribbing to him. Should he know I write to you he would not pardon me, and would have reason to complain : but I am sensible I owe to a friend more than to a duke. You are the only man upon earth with whom I converse by letters : and when I am in Paris you will be the only one whom I shall see. Since you love confidences I will tell you I hope to be there about the fifteenth of March. I had, two years ago, snatched from your court a short leave to come to Paris for three months[2]. If I am smoked out this bout, I will plead that former leave for my excuse, though it is perhaps good for nothing. When you see me you shall see and hear things which will please you, recommended to you by the graces of novelty and by your friendship to me : but, my dear Tiriot, the kind pleasure I expect from our next interview is too much embittered by hearing of your bad health[3].

Sur l’article de votre santé, je ne puis vous parler trop intelligiblement ; j’ai éprouvé bien des malheurs ; je sais par une triste expérience que la maladie est le pire de tous. Avoir la fièvre ou la petite vérole en passant, ce n’est rien ; mais être accablé de langueur des années entières, voir tous ses goûts s’anéantir ; avoir encore assez de vie pour souhaiter d’en jouir, et trop peu de force pour le faire ; devenir inutile et insupportable à soi-même, mourir en détail, voilà ce que j’ai souffert et ce qui m’a été plus cruel que toutes les autres épreuves. Si vous êtes dans cet état de langueur, vous ne trouverez dans la médecine aucun remède : j’y en ai cherché en vain, je n’en ai trouvé que dans la nature. Si je vis encore après tout ce que j’ai souffert, et après les chagrins qui ont empoisonné le peu de sang qui restait à ma triste machine, je le dois uniquement à l’exercice et au régime. L’air où je suis ne vaut rien : j’y ai été très-mal ; j’y suis arrivé très-faible. Je suis né d’ailleurs de parents malsains et morts jeunes ; vous savez par-dessus tout cela les peines d’esprit qui me rendent la vie si cruelle ; mais, grâce au régime et à l’exercice, j’existe, et c’est beaucoup pour moi. Vous donc qui êtes né de parents robustes, et qui avez naturellement une forte constitution, si vous embrassez le même genre de vie que moi, vous êtes sûr de vivre longtemps et sainement. Croyez-moi, il n’y a de bonheur dans ce monde pour notre corps que d’avoir ses cinq sens en bon état, et, pour notre âme, que d’avoir un ami : tout le reste n’est que chimères. J’ai peur que l’homme chez qui vous demeurez n’ait appris de feu M. le duc d’Orléans à aimer trop la bonne chère : si les hommes ne vivaient que comme les pauvres, on n’aurait pas besoin de médecins. Je vous ai vu manger beaucoup et aimer à boire du vin longtemps sur le soir, en chantant de mauvais couplets des chansonniers modernes : vous n’avez jamais été malade que par cette raison. Encore un coup, mon ami, il n’y a que la diète qui puisse vous rendre de la santé et de la vigueur. Vous trouverez le sermon bien long, mais comme c’est pour le bien de votre corps, il faut bien que vous l’excusiez : et mundum victum, non déficiente crumena. Horace ne dit pas lautum victum. À l’égard de la crumena, je suis bien charmé qu’un aussi mauvais livre que celui de M. *** vous ait procuré de l’argent.

Comment est reçue l’histoire de l’Académie française par mon ancien préfet[4] ?

What did you hint about il buggerone abbate ?

Pray in what did that true woman use you like la Rabodanges ?

What news concerning you ? Write me all and often : I have nothing to say to you from the place where I am.

Malaffaire does not know me : I am here upon the footing of an English traveller[5].

  1. Pièces inédites. 1820.
  2. Voyez la note de la page 173.
  3. Traduction : Mon très-cher ami, votre lettre m’a été fort agréable ; mais, encore une fois, n’allez point jaser sur la correspondance que vous avez avec moi. Plus notre commerce sera secret, plus il sera intime. Je n’écris à personne au monde. Le duc de Richelieu est fâché contre moi de ce que j’ai cessé de lui écrire. S’il savait que je vous écris, il ne me pardonnerait pas, et il aurait raison de se plaindre ; mais je dois plus à un ami qu’à un duc. Vous êtes le seul homme sur la terre avec lequel je m’entretiens par lettre, et quand je serai à Paris, vous serez le seul que je verrai. Puisque vous aimez les confidences, je vous dirai que j’espère y être le 15 mars. Il y a environ deux ans que j’arrachai de votre cour une permission de venir à Paris pour trois mois. Si je n’en ai pas profité jusqu’à présent, je m’en servirai comme d’une excuse, ce qui peut-être ne sera bon à rien. Quand vous me verrez, je vous montrerai et vous entendrez des choses qui vous plairont, et qui auront les grâces de la nouveauté et quelque prix par votre amitié pour moi. Mais, mon cher Thieriot, l’extrême plaisir que j’attends de notre prochaine entrevue est trop corrompu par ce que vous me mandez de votre mauvaise santé.
  4. L’abbé d’Olivet. Son Histoire de l’Académie paru en 1729.
  5. Traduction : Que savez-vous du menteur d’abbé ?

    Prière de dire en quoi cette vraie femme vous a traité comme la Rabodanges.

    Quelles nouvelles avez-vous à me donner qui vous intéressent ? Écrivez-moi tout, et souvent. Je n’ai rien à vous mander du lieu où je suis actuellement.

    Malaffaire ne me connaît point. Je suis ici comme voyageur anglais.