Correspondance de Voltaire/1727/Lettre 175

Correspondance de Voltaire/1727
Correspondance : année 1727GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 172-175).
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175. — À M. THIERIOT[1].

Wandsworth, 14 juin (n. s.), 1727.

I have received, by an unknown hand, my English essay’s translation ; I suppose it came from you, and I thank you for it. It is but a slight performance in English, but it is a ridiculous one in French ; for the articles relating to Milton, to sir John Denliam, Waller, Dryden, must needs be altogether out of the way of a French reader : besides abbot Desfontaines has been very far from doing one justice in many passages : he has mistaken the West-Indies for the East-Indies ; he has translated the cakes, which young Ascanius takes notice of being eaten by his countrymen, for la faim dévorante de Cacus. So he mistakes des assiettes et de la croûte de pâté for a giant and a monster. I have not the book by me at présent, and cannot remember all his oversights : but sure I am this little pamphlet did not at all deserve the trouble he has been at of putting it in the French language. I told you already, and I désire you to apprize your friends of it, that the English essay was but the sketch of a very serious work which I have almost finished in French, with all the care, the liberty and the impartiality I am capable of. I have done the like with the Henriade ; and since you have declined the printing of the copy of the Mariamne, which you have, and you advise me to print a new corrected édition of it, I intend to make use of your advice, and to give the public, as soon as possible, the best édition I can of the Henriade, together with my True Essay on Poetry. The printing of them both is a duty I must discharge before I think of other duties less suitable with the life of a man of letters, but becoming a man of honour, and from which you may be sure I shall never départ as long as I breathe.

Now I want to know when and where I could print secretly the Henriade ? It must be in France, in some country town. I question whether Rouen is a proper place ; for methinks the bookish inquisition is so rigorous that it has frightened all the booksellers in those parts. If you know any place where I may print my book with security, I beseech you to let me know of it : but let nobody be acquainted with the secret of my being in France. I should be exceedingly glad, my dear Tiriot, of seeing you again, but I would see nobody else in the world ; I would not be so much as suspected of having set my foot in your country, nor of having thought of it[2] ; my brother, especially, is the least proper person to be trusted with such a secret, not only on account of his indiscreet temper, but also of the ill usage I have received from him since I am in England : I have tried all sorts of means to soften, if I could, the pedantic rudeness and the selfish insolence with which he has crushed me these two years. I own to you, in the bitterness of my heart, that his insufferable usage has been one of my greatest grievances. Your kind friendship is a real comfort to me against so many troubles. I hope the perverseness of the world will never harden a heart so good as I have thought always your’s to be ; therefore I hope you will promote, to the utmost of your abilities, the undertaking you have advised me to. If you can propose the thing to a bookseller, I had rather strike up a bargain in ready money and give the copy, than to be myself at the trouble of printing it : but I am afraid no bookseller will attempt now to print any unlicenced book ; or, if he does it, he will not give much money for so ticklish an attempt ; therefore the more I think on it, the more I conceive the necessity of being my own printer : I expect an answer from you about this affair. In the mean time I shall not fail sending to your brother as many Englishmen as I can : but I am very sorry I can be but very little serviceable to him that way, being almost ever in the Country, and living in England with few friends.

In the mean time let me know what is the sense of the public of the Henriade and the Essay ? But especially I must know your opinion, Methinks it would not be unpleasant to you, and sure it would be a charming pleasure for me, to chat together privately and friendly upon that and about so many other things, of which I never writ to you, but of which I must disburthen my heart when I can enjoy the satisfaction of embracing you secretly[3].

  1. Pièces inédites, 1820.
  2. Voltaire obtint, le 29 juin 1727, une permission datée de Versailles et signée Phélypeaux, qui l’autorisait à venir à Paris, vaquer à ses affaires pendant trois mois à compter du jour qu’il y arriverait, mais contenant injonction, les trois mois écoulés, de retourner en exil sous peine de désobéissance.
  3. Traduction :
    Wandsworth, 14 juin (n. s.), l727.

    J’ai reçu d’un inconnu la traduction de mes Essais anglais ; je suppose qu’elle venait de vous, et je vous en remercie. C’est un ouvrage passable en anglais, mais tout à fait ridicule en français. Les articles concernant Milton, sir John Denham, Waller et Dryden, sont absolument hors de la portée d’un lecteur français. D’ailleurs l’abbé Desfontaines a été loin de me rendre avec exactitude dans plusieurs passages. Il a confondu les Indes occidentales avec les Indes orientales. Il a traduit les gâteaux que le jeune Ascanius dit avoir été mangés par ses compatriotes, par la faim dévorante de Cacus ; de sorte qu’il prend des assiettes et de la croûte de pâté pour un géant et un monstre. Je n’ai pas le livre près de moi maintenant, et ne puis me rappeler toutes ses bévues. Ce dont je suis certain, c’est que ce petit écrit ne méritait pas du tout la peine qu’il a prise de le mettre en français. Je vous ai déjà dit, et je vous prie d’en instruire vos amis, que l’Essai anglais n’était que l’ébauche d’un ouvrage très-sérieux que j’ai presque achevé en français avec tout le soin, toute la liberté et toute l’impartialité que je possède. J’ai fait de même de la Henriade, et puisque vous avez refusé de faire imprimer la copie que vous avez de cet ouvrage, et que vous me conseillez de mettre sous presse une édition revue et corrigée, je compte suivre votre avis, et donner au public, le plus tôt possible, la meilleure édition que je pourrai de la Henriade, ainsi que mon véritable Essai sur la Poésie.

    L’impression de ces deux livres est un devoir que je dois remplir avant de penser à d’autres devoirs moins convenables à la vie d’un homme de lettres, mais indispensables pour un homme d’honneur, et dont vous pouvez être sûr que je ne m’écarterai jamais tant que je vivrai.

    J’ai à présent besoin de savoir quand et où je pourrai faire imprimer secrètement la Henriade ; il faut que ce soit en France, dans quelque ville de province. Je doute si Rouen serait un endroit convenable, car il me semble que l’inquisition de la presse y est si rigoureuse qu’elle a épouvanté tous les libraires de cette ville. Si vous connaissiez quelque endroit où je pusse publier mon livre en sûreté, je vous conjure de me le faire savoir. Ne dévoilez à personne le secret de mon séjour en France. Je serais ravi de vous revoir, mon cher Thieriot, mais vous seulement : il ne faut pas qu’on me soupçonne d’avoir mis le pied dans votre pays, ou même d’y avoir pensé. Mon frère, surtout, est le dernier homme à qui on pourrait confier un tel secret, autant à cause de son caractère indiscret que pour la vilaine manière dont il a agi avec moi depuis que je suis en Angleterre. J’ai essayé par toutes sortes de moyens d’adoucir la grossièreté pédantesque et l’insolent égoïsme dont

    il m’a accablé ces deux dernières années. Je vous avoue dans l’amertume de mon cœur que son insupportable conduite envers moi a été une de mes plus vives afflictions. Votre tendre amitié est une douce consolation au milieu de tant de chagrins. J’espère que la perversité du monde n’endurcira jamais votre bon cœur, et que par conséquent vous ferez tous vos efforts pour assurer la réussite de l’entreprise à laquelle vous m’avez engagé. Si vous pouviez proposer la chose à un libraire, j’aimerais mieux faire un marché argent comptant et livrer le manuscrit, que d’avoir la peine de le faire moi-même imprimer. Mais je crains qu’aucun libraire ne veuille imprimer un livre sans permission ; ou s’il le fait, il ne donnera que peu d’argent pour un essai si périlleux. Donc, plus j’y pense et plus je vois la nécessité de l’imprimer moi-même. J’attendrai votre réponse sur ce sujet. Je ne manquerai point en même temps d’envoyer à votre frère autant d’Anglais que je le pourrai ; je suis fâché de ne pouvoir lui être fort utile de ce côté-là, étant toujours à la campagne et ne voyant en Angleterre qu’un petit nombre d’amis.

    Apprenez-moi, je vous prie, quel est le sentiment du public sur la Henriade et sur l’Essai ; mais donnez-moi surtout votre propre opinion. Je crois qu’il ne vous serait point désagréable, et certainement ce serait un bien grand plaisir pour moi, de pouvoir jaser ensemble secrètement et amicalement de cela, et de beaucoup d’autres choses dont je ne vous ai jamais parlé par écrit, mais qui me pèseront sur le cœur jusqu’au moment où je pourrai goûter la satisfaction de les épancher dans le vôtre et de venir secrètement vous embrasser.