Correspondance de Voltaire/1727/Lettre 174

Correspondance de Voltaire/1727
Correspondance : année 1727GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 170-172).
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174. — À M. THIERIOT[1].

Near London, 27 may (n. s.), 1727.

Mon cher Thieriot, j’ai reçu bien tard, à la campagne où je suis retiré, votre aimable lettre du 1er avril. You cannot imagine with what sense of sorrow I have read the account you gave me of your sickness. I have carried my concern for you further than an ordinary friendship could allow. Remember the time when I was used to write to you, that I believed you had a fever upon you whenever I had an ague. That time is come again. I was very ill in England while you suffered so much in France. An year absence added a new bitterness to my sufferings. Now I hope you are better, since I begin to revive.

I hear that M. Gulliver is now translated and takes pretty much. I wish the translation could be your’s : but I am afraid the abbot has outrun you, and reaped the benefit which such a book should have procured to you.

You must have received the two books addressed to Mme de Bernières, from Calais, and conveyed by the stage-coach. If you intend seriously to make a translation of some valuable book, I advise you to sit still for a month or two, to take care of your health, and to improve your English till the book of Mr Pemberton comes out. This book is an easy, clear and regular explanation of sir Isaac Newton’s philosophy, which he undertakes to make palatable to the most unthinking man. It seems the man intends to Write chiefly for your nation.

If I am in England when the book shall be published, I will not fail of sending it to you with the utmost speed. If I am abroad, as I will be in all likelihood, I will order my bookseller to send you the book by the first opportunity. I fancy it will be an easy task to translate it, the language being very plain, and all the terms of philosophy being just the same in French and in English. Take care only not to be outvied for the future by any priest : be cautious in the choice of those you will consult about your translation. I fancy the bishop of Rochester is more amiable an acquaintance and a less dangerous one than the priest you speak of. But I believe you are now in Normandy, mending your health, loitering with Mme de Bernières, and talking of physic with des Alleurs. I must acquaint you, my dear, that there is an engine in England to take a clyster, which is a master-piece of art, for you may carry it in your fob and make use of it whenever and in what place you please. If ever I enjoy the pleasure of seeing you again, be sure to have half a dozen of those delightful engines. Farewell, do not talk of the occasional writer. Do not say it is not of my lord Bolingbroke ; do not say it is a wretched performance : you cannot be judge neither of the man nor of this writing. Adieu, mon très-cher ami.

Je viens d’écrire un thème anglais au chevalier des Alleurs. J’ai adressé la lettre quai des Théatins ; s’il ne l’a pas reçue, il faut l’en avertir, et qu’il ne la perde point, car j’y ai mis toute ma médecine. Adieu, portez-vous bien.

Non vivere, sed valere vita.

If you want to enter into a course of strict diet, begin soon and keep it long.

To morrow I will live, the fool does say.
To day’s too late, the wise liv’d yesterday.

I am the fool, be the wise and farewell[2].

  1. Pièces inédites, 1820.

  2. Traduction :

    Près de Londres, le 27 mai (nouveau style) 1727.


    Mon cher Thieriot, j’ai reçu bien tard, à la campagne où je suis retiré, votre aimable lettre du 1er avril. Vous ne sauriez imaginer avec quel chagrin j’ai lu le compte que vous me rendez de votre maladie ; mon amitié, pour ce qui vous regarde, passe les limites d’une amitié ordinaire. Rappelez-vous du temps où je vous écrivais que je pensais que vous deviez avoir la fièvre parce que je sentais le frisson, ce temps est revenu. J’étais très-malade en Angleterre tandis que vous souffriez tant en France, et votre absence ajoutait encore plus d’amertume à mes souffrances. À présent j’espère que vous êtes mieux, puisque je commence à revivre.


    J’apprends que Monsieur Gulliver vient d’être traduit, et qu’il réussit passablement. Je souhaite que cette traduction soit de vous, mais j’ai bien peur que l’abbé* ne vous ait devancé, et qu’il ne vous ait enlevé le profit qu’un tel ouvrage vous eut rapporté. Vous devez avoir reçu deux exemplaires adressés à Mme de Bernières, de Calais, et envoyés par la voiture publique. Si vous êtes sérieusement dans l’intention de traduire quelque ouvrage qui en vaille la peine, je vous conseille d’attendre encore un mois ou deux, de prendre soin de votre santé, de vous fortifier dans la langue anglaise et de donner le temps à l’ouvrage de M. Pemberton de paraître. Cet ouvrage est une explication claire et précise de la philosophie de sir Isaac Newton, qu’il entreprend de rendre intelligible aux hommes les plus irréfléchis et les moins exercés dans ce genre. Il semblerait que l’auteur ait voulu principalement écrire pour votre nation.


    Si je suis encore en Angleterre quand l’ouvrage sera publié, je ne perdrai pas un moment pour vous l’envoyer ; si j’en suis parti à cette époque, comme cela est vraisemblable, j’ordonnerai à mon libraire de vous envoyer le livre à la première occasion. Je pense qu’il sera facile de le traduire, le style en étant fort simple et


    tous les termes de philosophie les mêmes en français et en anglais. Prenez garde seulement de n’être pas prévenu par quelque prêtre ; soyez scrupuleux dans le choix de ceux que vous consulterez sur votre traduction. Je pense que l’évêque de Rochester est une connaissance plus aimable et beaucoup moins dangereuse que le prêtre dont vous me parlez ; mais j’imagine que vous êtes actuellement en Normandie fortifiant votre santé, passant le temps avec Mme de Bernières et causant médecine avec des Alleurs. Il faut que vous sachiez, mon cher, qu’on a en Angleterre une machine pour prendre un lavement, qui est un chef-d’œuvre de l’art, car vous pouvez la mettre dans votre gousset et en faire usage quand et partout où il vous plaît. Si jamais j’ai le plaisir de vous revoir, soyez sûr que vous aurez une demi-douzaine de ces instruments délicieux.

    Adieu, ne parlez point de l’écrivain anonyme, ne dites pas que ce n’est point du milord Bolingbroke, ne dites pas que c’est un méchant ouvrage ; vous ne pouvez juger ni de l’homme ni de cet écrit. Je viens d’écrire un thème anglais au chevalier des Alleurs. J’ai adressé la lettre quai des Théatins. S’il ne l’a pas reçue, il faut l’en avertir, et qu’il ne la perde pas, car j’y ai mis toute ma médecine. Adieu, portez-vous bien.

    Non vivere, sed valere vita.

    Si vous avez besoin de vous mettre au régime de la diète, commencez vite et observez-le longtemps. Je vivrai demain, dit le fou, aujourd’hui c’est trop tard ; le sage vécut hier ; je suis le fou, soyez le sage, et adieu.

    *. Desfontaines.