Correspondance de Voltaire/1724/Lettre 138

Correspondance de Voltaire/1724
Correspondance : année 1724GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 136).
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138. — À M. THIERIOT[1].

Enfin, je crois que vous m’aimez autant qu’autrefois, puisque vous vous remettez à être malade quand je le suis. Ne me donnez plus cette marque d’amitié, mon cher ami. Vous êtes la moitié de moi-même, la plus saine et la plus vivante ; conservez cette moitié si chère dans le temps que l’autre dépérit tous les jours. J’ai eu assez de courage jusqu’ici pour supporter mes maux ; il me semble que je ne pourrais pas tenir contre les vôtres et les miens mêlés ensemble. Vous avez un fond de tempérament assez bon ; vous n’êtes sûrement malade que pour avoir trop mangé : soyez persuadé que la sobriété vous donnera de la santé, et qu’il n’est pas permis à tout le monde d’être intempérant. Achevez vite votre édition[2], et revenez. Comment voulez-vous que je vous envoie du Chaulieu ou du La Fare ? Je n’ai presque bougé de mon lit depuis quinze jours. Me voilà condamné à ne sortir de l’hiver. Je ne vois plus de fin à mes maux, je n’en espère plus. J’ai renoncé à avoir de la santé, comme Lamotte à faire de bons vers. Que je commence à vous savoir bon gré d’avoir résisté aux, efforts que j’ai faits pour vous séparer de moi[3] ! Je vois plus que jamais que je n’aurais pu me consoler de votre perte. Vous avez préféré mon bonheur à votre fortune, et vous n’avez songé qu’à moi lorsque je ne songeais qu’à vous. Couronnez tout cela par un prompt retour. Adieu, je n’ai pas la force d’écrire davantage.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Celle des œuvres de Chaulieu.
  3. En lui conseillant d’accepter la place de secrétaire d’ambassade.