(tome 1p. 558-561).
◄  1837
1839  ►


1838.


À Monsieur Anténor Joly,
directeur du théâtre de la Renaissance[1].


19 janvier 1838.

J’ai vu hier soir Dumas, mon cher Anténor. Il était très monté, je vous expliquerai pourquoi et comment. Je l’ai rassuré pleinement, je lui ai dit ce que je vous ai dit tant de fois à vous-même : que nous serions à votre théâtre tous les deux sur le pied d’une entière égalité ; que je supporterais fort bien des préférences pour lui, mais que je n’en voulais pas pour moi ; enfin, que je le considérais, ce qui est vrai, comme indispensable au bon établissement de ce théâtre ouvert à tous et pour tous. Tout cela qui est, comme vous savez, ma vraie et loyale pensée, a dissipé le nuage qui était fort gros et fort noir dans son esprit. Voyez-le, il vous croit froid pour lui. Parlez-lui comme je l’ai fait. J’ai vu aussi Mlle  Ida[2], qui avait également besoin d’être rassurée. Je lui ai dit que je ne doutais point de vos intentions à son égard. Je vous conterai la chose en détail, quand je vous verrai. Je crois avoir bien fait en tout, et que vous m’approuverez. Vous savez que je regarde le concours de Dumas comme absolument nécessaire, et une rupture était imminente. Je vous expliquerai tout la première fois. Il y a aussi bien des petites choses que je vous dirai, car vos intérêts me sont aussi chers que les miens propres.

Je vous serre la main et suis tout vôtre du fond du cœur.

V. H.[3]
À Auguste Vacquerie[4].


Au lieu d’une lettre vous en aurez deux. Ma femme vous écrit, et moi aussi. Comment voulez-vous qu’on vous oublie, mon poëte ? Vers et prose, amitié et poésie, de vous tout est charmant. Je vous félicite d’être là-bas et je vous remercierai d’être ici. Vous êtes heureux d’ailleurs, si vilain que soit le printemps, car vous avez la mer qui est belle surtout quand la saison ne l’est pas. Quand le ciel est affreux, l’océan est magnifique. Promenez-vous donc sur la grève. Je vous souhaite une tempête. — Une tempête sans naufrage, bien entendu, car il ne faut pas indigner les philanthropes avec nos fantaisies d’artistes. — Mais revenez bien vite. — Venez pour être accueilli à bras ouverts par vos vieux amis de la place Royale.

Moi, je n’ai rien de beau à vous raconter. Paris est toujours Paris, c’est-à-dire quelque chose d’assez plat. Pour toute tempête et pour tout océan, j’ai la séance du comité historique d’où je vous écris. J’y fais un petit orage précisément en ce moment, j’y soulève à propos de la grille de la place Royale[5] toutes sortes de vagues irritées, et je tâche de faire chavirer le conseil municipal de la ville de Paris, représentée par un navire comme vous savez. Je souffle sur le préfet et je couvre d’écume les architectes. C’est fort amusant de faire ainsi l’Éole, mais j’aimerais encore mieux les envoyer au diable, et m’aller promener moi-même, — avec vous, mon poëte, et au bord de la mer. Je vous aime de tout mon cœur.

Victor H.[6]
Ce mercredi 18 avril [1838].


À Lamartine.


14 mai 1838.

Vous avez fait un grand poëme, mon ami. La Chute d’un ange est une de vos plus majestueuses créations[7]. Quel sera donc l’édifice si ce ne sont là que les bas-reliefs ! Jamais le souffle de la nature n’a plus profondément pénétré et n’a plus largement remué, de la base à la cime et jusque dans les moindres rameaux, une œuvre d’art.

Je vous remercie des belles heures que je viens de passer tête-à-tête avec votre génie. Il me semble que j’ai une oreille faite pour votre voix. Aussi je ne vous admire pas seulement du fond de l’âme, mais du fond du cœur ; car, lorsqu’on chante comme vous savez chanter, produire c’est charmer, et, lorsqu’on écoute comme je sais écouter, admirer c’est aimer.

À vous donc, ex imo pectore !


À Monsieur Védel, directeur de la Comédie-Française.


Montmirail, 20 août 1838.
Monsieur,

Aux termes du jugement intervenu entre la Comédie-Française et moi et confirmé par arrêt, la Comédie-Française devait représenter Angelo un nombre de fois déterminé, du 20 novembre 1837 au 20 avril 1838, à peine de cent cinquante francs de dommages-intérêts par jour de retard. Aujourd’hui 20 août, ce nombre de représentations n’a pas encore été complété, et il résulte de là que la Comédie-Française serait en ce moment ma débitrice de la somme de dix-huit mille francs. Mais, monsieur, je ne vois aucune raison pour rien changer aux déterminations qui m’ont déjà porté à remettre à la Comédie la somme de deux mille quatre cents francs qu’elle me devait pour retards à la représentation de Marion de Lorme. Je suis même enchanté d’avoir encore cette occasion de reconnaître personnellement la bonne grâce et le bon goût dont vous m’avez donné plus d’un témoignage dans mes récentes relations avec vous. J’ajoute que je suis heureux de pouvoir adresser aussi ce remerciement à ceux de messieurs les Comédiens-Français qui m’ont secondé avec tant de zèle et de talent. Veuillez donc, monsieur le directeur, annoncer à la Comédie que je lui fais remise pleine et entière de la somme de dix-huit mille francs qu’elle me devrait en ce moment.

Recevez, monsieur, je vous prie, l’assurance de ma considération très distinguée.

Victor Hugo[8].


Pour ma Didine bien-aimée.


[1838.]

Merci de ta charmante petite lettre, ma Didine. Elle m’a été au fond du cœur. J’ai vu avec joie que tu aimes ton père comme il t’aime et que tu sens les belles choses comme lui. Tu as de mon sang dans les veines.

Écris-moi le plus que tu pourras, mon cher petit ange. J’aurai peut-être besoin plus d’une fois de ce rayon de soleil.

Tu as vu les bords de la Seine ; moi je vais voir les bords du Rhin. C’est encore plus beau. Quelque jour, je t’y conduirai. Pense à moi, chère enfant, et embrasse pour moi mon Charlot, mon Toto et ma Dédé. Vous êtes cinq là-bas qui remplissez mon cœur.

Ton petit père,
Victor H.

J’ai été un peu malade, mais je suis rétabli. Mes amitiés les plus tendres à M. Vacquerie[9].


À Léopoldine.

Je t’écris en hâte quelques mots, ma Didine, la poste va partir. Je serai demain soir 28 à Paris, à 8 heures, et je vous embrasserai tous, j’espère, après-demain. Recommande bien à ta bonne mère de faire tout ce que je lui ai écrit pour Joly et pour que je trouve une bonne à la maison.

J’ai vu Reims, et, au lieu d’une grande description, je t’en envoie un petit portrait. Je pense que tu aimeras autant cela. Dis à mon Charlot, à mon Toto et à ma Dédé que je leur ferai à chacun une image à Paris.

Je t’embrasse bien tendrement, ma Poupée, ainsi que ta mère bien-aimée et tous les sorciers. Embrasse pour moi ton grand-papa qui est aussi ton bon papa.

À bientôt. À après-demain.

Ton petit père.
Épernay, 27 août [1838] midi.

  1. Anténor Joly, directeur du journal Le Vert-Vert, obtint, par l’entremise de Victor Hugo, le privilège nécessaire à l’ouverture d’un théâtre ; il acquit et fit transformer la salle Ventadour qui devint le théâtre de la Renaissance, inauguré le 8 novembre 1838, avec Ruy Blas. L’Alchimiste, d’Alexandre Dumas, suivit immédiatement.
  2. Mlle  Ida, actrice, était la maîtresse d’Alexandre Dumas ; elle avait, en 1833, joué le rôle de Jane dans Marie Tudor.
  3. Archives de la famille de Victor Hugo.
  4. Inédite.
  5. Victor Hugo, comme membre du Comité historique des Arts et Monuments, avait essayé d’empêcher la démolition de la grille Louis XIV qui entourait le jardin de la place Royale. Elle fut néanmoins démolie.
  6. Bibliothèque Nationale.
  7. Parue le 12 mai 1838.
  8. Archives de la famille de Victor Hugo.
  9. Archives de la famille de Victor Hugo.
  10. Archives de la famille de Victor Hugo.