(tome 1p. 552-558).
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1837.


À Monsieur A. Vacquerie[1],
Institution Favart, rue St-Antoine.

Je vous remercie, mon jeune et cher poëte. De beaux vers comme les vôtres sont en effet une douce consolation. Je suis triste et par moments accablé, j’ai perdu un frère qui avant sa maladie avait été le compagnon de mon enfance et de ma jeunesse[2] Ainsi mon père, ma mère, un enfant, ce frère ! je regarde avec douleur s’élargir cette solitude que la mort fait autour de moi. Envoyez-moi de beaux vers. Il y a dans votre noble et tendre poésie un charme qui me va au cœur. Je vous remercie encore et je vous serre la main.

Votre ami,
Victor H.[3]
7 mars [1837].


À Louis de Maynard, à la Martinique[4].


Du 21 mai 1837.

Nous vous attendons toujours. Votre lettre si bonne et si charmante promettait votre prochain retour, nous nous en sommes tous fait une fête, et vous ne venez pas ! Nous aurions pourtant bien besoin de vous ici : nous aurions besoin de vous pour nous, parce que nous vous aimons et que, quant à moi, votre amitié généreuse et loyale était une des réelles joies de ma vie ; nous aurions ensuite besoin de vous pour vous-même, parce qu’ici vous nous feriez, j’en suis sûr, un beau livre ; parce qu’à une grande pensée comme la vôtre il faut un grand spectacle comme le nôtre, et que Paris est le tourbillon naturel des planètes de votre ordre. Nous aurions besoin de vous pour les idées que vous feriez avancer, pour le style que vous édifieriez, pour la critique que vous sauriez redresser, pour l’art qui a si peu d’hommes comme vous, pour tout ; et puis je le redis encore, parce qu’une figure noble et sincère comme la vôtre, droite et debout au milieu de tant de regards inclinés et obliques, repose l’œil et console le cœur. Croyez que nous vous aimons véritablement ici.

Voyez-vous, la distance grandit les hommes tels que vous ; on vous compare à ce qui est resté et ce n’est pas vous qui perdez à la comparaison.

Au moins, que faites-vous là-bas ? Dédommagez-nous donc par quelque belle œuvre, votre fruit nécessaire. À défaut du grand spectacle des hommes que vous aviez ici, vous avez le grand spectacle de la nature ; à défaut de la lutte des idées, vous avez la calme harmonie des choses ; si vous avez moins du siècle, vous avez plus du soleil. L’art doit vous ouvrir encore là-bas de belles perspectives. Venez donc à nous. Venez ou donnez-nous un livre de vous ; il nous faut votre personne ou votre pensée. Moi, je continue ici mon œuvre, eau fort troublée, comme vous savez, par les pierres qu’on y jette ; je travaille, j’étudie ; j’ai trois pièces prêtes à être écrites ; vous en verrez une quelqu’un de ces jours ; et puis, çà et là, je fais des vers.

J’ai vu M. B. qui m’a paru homme distingué et qui d’ailleurs venant avec une lettre de vous, avait tout de suite la meilleure attitude à mes yeux.

Nos choses politiques sont toujours médiocres et basses, vous vous souvenez ; cela n’est pas devenu plus grand depuis que vous nous avez quittés. De petits hommes travaillant autour d’une petite idée ; peu de chose s’agitant autour de rien. Somme toute, il y a des heures où je vous envie, vous poëte exilé sous le soleil, exil qu’Ovide eût aimé, dans cette Martinique que vous avez si admirablement peinte.

M. Granier, qui est toujours notre excellent ami à tous deux, se charge de vous faire passer cette lettre, à laquelle je joins un exemplaire de Notre-Dame de Paris pour vous et un autre pour M. D… que vous seriez bien bon de lui transmettre avec tous mes remerciements pour le beau hamac qu’il a envoyé à ma femme. Je lui écrirai prochainement. En attendant, adressez-lui mille affectueux compliments ainsi qu’à monsieur Auguste, que nous aimons aussi beaucoup.

Je vous embrasse en frère.

Victor Hugo.

Ma femme vous dit mille bonnes et vraies amitiés[5].


À Léopoldine.
Valenciennes, 15 août 1837.

J’arrive dans cette ville au bruit des carillons. C’est la fête de la Vierge. Je te la dédie, mon enfant.

Je n’ai pas voulu, ma Didine bien-aimée, laisser passer ce jour sans t’écrire. Je ne passe pas de jours, je ne passe pas d’heures sans penser à toi. Ta mère, toi, tes frères, ta chère petite sœur, vous êtes toujours présents à ma pensée et mêlés à moi dans un même amour.

As-tu reçu mon petit griffonnage de l’autre fois ? T’a-t-il fait plaisir, ma Didine ? Garde-le pour l’amour de moi.

Garde surtout la candeur et la bonté de l’âme, le respect de Dieu et de ta mère, la simplicité de l’esprit et le désir perpétuel de bien faire ; c’est ainsi que tu pourras, comme ta mère, avoir un jour tout à la fois la vertu de la femme et l’innocence de l’enfant.

J’ai traversé pour venir jusqu’ici de bien beaux paysages verts et fleuris qui me parlaient de Dieu ; moi je leur parlais de toi, je leur parlais de vous tous, mes bien-aimés qui êtes là-bas.

Embrasse pour moi tous ceux que j’aime autour de toi, en commençant par ta mère.

Ton petit père,
V.[6]


À Léopoldine.
Étaples, près Boulogne-sur-Mer,
3 septembre, 9 heures du soir [1837].

J’ai passé Dunkerque, j’ai passé Calais, j’ai passé Boulogne-sur-Mer, ma Didine bien-aimée, et j’ai déjà relu bien des fois tes deux gentilles petites lettres, ainsi que celles de tes frères et de ta bonne mère, si aimée et si digne de l’être. Ton grand-père aussi m’a écrit de bien charmantes lignes. Embrasse-le bien pour cela, et n’oublie pas ma Juju[7]. Je viens de me promener au bord de la mer en pensant à toi, mon pauvre petit ange. J’ai cueilli pour toi cette fleur dans la dune. C’est une pensée sauvage qu’a arrosée plus d’une fois l’écume de l’océan. Garde-la pour l’amour de ton petit père qui t’aime tant. J’ai déjà envoyé à ta mère une fleur des ruines, le coquelicot de Gand ; voici maintenant une fleur de la mer. Et puis, mon ange, j’ai tracé ton nom sur le sable : Didi. La vague de la haute mer l’effacera cette nuit, mais ce que rien n’effacera, c’est l’amour que ton père a pour toi. J’ai bien des fois songé à toi, chère enfant. À chaque belle ville que je voyais, je t’aurais voulue là, et ta mère, et tes frères, et ton grand-père aussi, pour nous expliquer tout. Tout le jour je regardais les églises et les peintures, et puis, le soir, je regardais le ciel, et je songeais encore à toi, ma Didine, en voyant cette belle constellation, ce beau chariot de Dieu, que je t’ai appris à distinguer parmi les étoiles.

Vois, mon enfant, comme Dieu est grand, et comme nous sommes petits : où nous mettons des taches d’encre, il pose des soleils. C’est avec ces lettres-là qu’il écrit. Le ciel est son livre. Je bénirai Dieu si tu sais toujours y lire, ma Didine. Et je l’espère.

Quant aux belles villes que j’ai vues, je te les dirai. En attendant voici qui t’en donnera l’idée à peu près comme l’autre dessin donne l’idée de la Grande-Ourse. Suppose que mon dessin brille, et tu croiras voir ce que j’ai vu.

Dans quelques jours, mon enfant, du 10 au 15, je serai à Paris. Oh ! ce sera une grande joie de t’embrasser et vous tous ! En attendant, donne un baiser pour moi à Charlot, à Toto et à Dédé. Vous êtes tous mes bien-aimés. Je t’embrasse bien tendrement, et ta mère à qui j’écrirai demain.

Ton petit père[8].


À un ouvrier poëte.


Paris, 3 octobre 1837.

Soyez fier de votre titre d’ouvrier. Nous sommes tous des ouvriers, y compris Dieu, et chez vous la pensée travaille encore plus que la main.

La généreuse classe à laquelle vous appartenez a de grandes destinées, mais il faut qu’elle laisse mûrir le fruit, il faut qu’elle soit patiente et résignée, car la Providence ne donne pas à la fois tout à tous, et la Providence sait ce qu’elle fait. Que cette classe, si noble et si utile, évite ce qui abrutit et cherche ce qui agrandit ; qu’elle cherche les motifs d’aimer plutôt que les prétextes de haïr ; qu’elle apprenne à respecter la femme et l’enfant ; qu’elle lise et qu’elle étudie aux heures de loisir ; qu’elle développe son intelligence, elle amènera son avènement. Je l’ai dit quelque part, et c’est ma pensée : Le jour où le peuple sera intelligent, alors seulement il sera souverain. En d’autres termes, c’est la civilisation qui est le fait souverain. Tantôt elle règne par un seul, comme les papes ont régné ; tantôt par plusieurs, comme les sénats ont régné ; tantôt par tous, comme le peuple régnera. En attendant que la démocratie soit légitime, la monarchie l’est. C’est le même besoin de l’humanité, l’état de société, diversement organisé, et diversement satisfait. Patience donc. Aimons et comprenons ce qui est, pour être dignes d’être un jour à notre tour. Que le peuple travaille, nous travaillons tous. Qu’il nous aime, nous l’aimons. Qu’il ne secoue pas sans cesse la jeune plante à peine ensemencée, s’il veut avoir un jour de l’ombre et des fruits. D’un présent tourmenté et malade, l’avenir ne peut pas naître bon, beau et bien conformé.

Je suis sûr, monsieur, que toutes ces idées sont les vôtres. Faites-les pénétrer dans le peuple dont vous êtes, par l’intelligence, un des chefs naturels. Au lieu de vous remercier simplement de vos excellents vers si flatteurs pour moi, je me suis laissé aller à cette causerie sérieuse. Vous la prendrez, je pense, comme je vous l’offre, pour une marque d’estime et de sympathie[9].


Monsieur A. Vacquerie[10],
à Villequier.


Me voici enfin tout à fait de retour à Paris, et ma première lettre est pour vous, mon jeune et cher poëte. J’ai voyagé, puis j’ai fait une petite villégiature à Auteuil, et maintenant la ville me tient comme on disait dans la belle langue d’Horace. Vous me faites lire des vers qui prouvent que la nôtre n’est pas moins belle. Vous pensez à moi dans l’inspiration, vous mettez mon nom à vos vers, vous laissez mon ombre se refléter quelquefois dans votre doux et charmant ruisseau de poésie. Merci. Je ne suis plus guère bon qu’à vous jeter quelques feuilles vertes ou non que votre eau emportera. Ce que rien ne pourra emporter, c’est la bonne et tendre affection que je vous ai vouée comme à un jeune frère. Continuez, vous aussi, mon poëte, de m’aimer, et d’aimer la nature et l’art. Aimer Dieu dans son œuvre, et puis s’aimer les uns les autres, voilà la vraie et bonne vie. Le regard affectueux des hommes pour les hommes est aussi doux que les rayons du ciel. Je vous serre la main.

Victor H.[11]
Paris, 3 octobre [1837].


À Monsieur de Custine[12].


12 octobre 1837.

J’ai fait cent courses, j’ai été en Flandre, j’ai vu Bruxelles et Anvers, les manufactures belges et les tableaux de Rubens, ce que l’industrie a de plus insipide et ce que l’art a de plus beau. Me voici enfin de retour à Paris où m’attendait votre bonne et cordiale lettre. Je voudrais pouvoir vous dire à quel point j’en ai été touché. Mais il y a des cas où ce qu’on voudrait exprimer est si au-dessus de ce qu’on sent qu’il vaut mieux se taire. N’est-ce pas que vous comprenez cela ? Votre lettre m’a été au cœur.

Vous êtes trop bon pour ces vers[13]. Ils n’ont d’autre mérite que de provoquer par moment les épanchements d’une âme comme la vôtre.

Vous avez raison, Olympio est un symbole, toute noble nature calomniée et méconnue peut trouver là quelque chose de sa figure, vous avez bien compris Olympio. Au reste, que ne comprenez-vous pas !

Je pense que cette lettre vous trouvera à Saint-Gratien. Voici l’automne et les grands souffles de l’hiver. Vous êtes sans doute de retour de vos eaux chaudes comme moi de mes eaux salées (car j’ai revu l’océan, cela va sans dire). Je voudrais que cette lettre vous saluât à votre arrivée ici comme la vôtre m’a accueilli à ma rentrée à Paris. Je serai heureux si vous avez en me lisant quelque ombre de la joie que j’ai eue à vous lire.

Je suis accablé d’affaires, de travaux, de théâtres, de libraires, d’ennuis que je tâcherai de rendre au public. Vous, je vous rendrai de l’amitié.

Ma femme va partir pour les Roches — quelques jours, une semaine tout au plus. — Je ne pourrai l’y suivre même pour si peu de temps. Je suis cloué ici par Védel[14], Harel et Renduel. Voilà trois el sur lesquelles un plus joyeux que moi ferait quelque bout rimé. Je n’ai même pas la ressource de cette vengeance.

À bientôt, n’est-ce pas ? J’ai dîné aujourd’hui avec Boulanger. Nous avons bien parlé de vous. Nos quatre mains serrent les deux vôtres. — À vous de toda aima.

Victor Hugo[15].


À Victor Pavie.


18 novembre 1837.

Vous avez bien raison de penser toujours un peu à vos amis de la place Royale. Vous êtes aimé ici, aimé entendez-vous, et du fond du cœur. Vous savez, mon cher Pavie, que les amitiés sont une religion pour moi.

Et puis, quel ami est meilleur que vous ? Nous disons cela bien souvent, les soirs d’hiver, ma femme et moi, en songeant à tant de faux visages qui nous ont trahis. C’est une bonne et noble chose qu’un ami comme vous !

Je suis ici dans les ennuis, dans les procès, dans les avocats, dans les tracas de tout genre. Les journaux vous disent un peu tout cela. Ce qu’ils ne vous disent pas, c’est que ma pensée est bien souvent près de vous à travers tout ce tourbillon.

David vous a donné mon buste. J’en félicite mon buste : il va assister désormais à vos causeries d’intimité et de famille ; je l’envie.

Au milieu de ce tumulte dont mes ennemis remplissent ma vie, je me suis muré un petit sanctuaire où je regarde sans cesse ; c’est là que sont ma femme et mes enfants, le côté doux et heureux de ma destinée.

Venez donc nous voir cet hiver. Venez avec Théodore, venez avec votre excellent père. Je ne dis pas : venez avec votre femme, car il me semble que quand c’est à vous que je parle, venez dit tout.

  1. Inédite.
  2. Eugène, mort le 5 mars 1837.
  3. Bibliothèque Nationale.
  4. Louis de Maynard, écrivain distingué, critique d’art et critique littéraire, défendait en toute occasion la nouvelle école et admirait profondément Victor Hugo ; il ne reçut pas la lettre qu’on va lire. Il mourut le 22 mai 1837, à la Martinique.
  5. Lettre collationnée sur une coupure de journal dont le titre a été coupé et qui nous semble, d’après les annonces au verso de l’article, avoir été publié aux Antilles. Archives de la famille de Victor Hugo.
  6. Archives de la famille de Victor Hugo.
  7. Julie fouchet, sœur de Mme  Victor Hugo.
  8. Archives de la famille de Victor Hugo.
  9. Copie de Mme  Drouet. Archives de la famille de Victor Hugo.
  10. Inédite.
  11. Bibliothèque Nationale.
  12. Inédite. — Le marquis de Custine publia quelques romans, quelques drames, mais il est surtout connu par ses études sur les différents pays qu’il parcourut ; son dernier ouvrage : La Russie en 1839 eut un grand succès.
  13. Les Voix intérieures.
  14. Védel, comme directeur du Théâtre-Français, était en procès avec Victor Hugo, au sujet de la reprise d’Angelo et d’Hernani.
  15. Collection de M. Charles Pelliot.